
C’est à Brest que Jacques Le Honsec se lance dans la musique avec quelques copains musiciens, peu enthousiasmé par les cours d’anglais qu’il suit à la fac. Ensemble, ils essayent de monter un groupe, composent des chansons en vue d’un concert et fréquentent les autres musiciens de la région. Parmi leurs compositions, il y en a une en particulier qui émerge. Intitulée Les Yeux de Laura, le refrain en aurait été inspirée du groupe brestois Printemps noir qui tourne dans les parages et dans lequel Miossec joue de la guitare. « On finissait les concerts avec, c’était le morceau qui attrapait le public avec son rythme foxtrot et nos guitares bizarres. Le gars de Goûts de luxe venait nous voir au local de répétition (…). Il a complètement réarrangé le titre mais c’était toujours le même refrain avec les paroles de Jean-Luc Herry, le batteur. On a juste eu un remerciement au dos de la pochette du 45 tours » raconte le chanteur à Thierry Jourdain dans la biographie Miossec : Une bonne carcasse en 2019.
Avec quelques maquettes en poche, Jacques Le Honsec se décide à faire le grand saut et monte à la capitale pour faire entendre ses morceaux. Arrivé à Paris, il est embauché chez Champs Disques, l’un des disquaires les plus influents, où il a l’occasion de placer ses maquettes à des producteurs qui lui demandent de mettre en avant leurs dernières nouveautés.
Jean-Eric Monfort, un ami de Brest, finit par rejoindre Jacques, et ensemble, avec un troisième comparse détenteur d’un synthétiseur, ils se mettent à travailler des morceaux. Jacques se voit naturellement propulsé chanteur de la formation et à nouveau des maquettes sont enregistrées. Alain Chamfort se dit intéressé, mais pour interpréter lui-même l’un de leurs morceaux, ce qui est pour eux hors de question. Alors qu’il prépare régulièrement une sélection de disques à Karl Lagerfeld, Jacques aura la surprise d’entendre l’une de ses compositions lors d’un défilé du grand couturier. Y voyant là un signe, il n’en fallait pas plus pour baptiser son groupe Goûts de luxe !
Après un bref passage chez Polydor qui leur permet de peaufiner leurs morceaux avant que le label ne s’en désintéresse, Goûts de luxe rencontre le producteur Dominique Dubois qui se montre très intéressé. Ce dernier, qui vient de travailler avec Michel Jonasz et lancera peu de temps après Desireless avec Voyage voyage qu’il co-signe avec Jean-Michel Rivat, leur fait signer un contrat.
Désormais réduit à un simple duo (après éviction du claviériste), Jacques Le Honsec et Jean-Eric Monfort signent à eux deux Les Yeux de Laura qu’ils enregistrent au studio de la Grande Armée, mais les sessions ne s’avèrent pas aussi évidentes que prévu. Tout d’abord Jacques n’est pas le chanteur qu’il espérait et mettra plusieurs semaines pour arriver à poser ses voix sur la chanson. Jean-Eric, lui, se trouve incapable de jouer sa partition de guitare et sera remplacé au pied levé par le guitariste chevronné Kamil Rustam. Quant à Dominique Dubois, qui réalise le disque, il n’a de cesse de réarranger le morceau dans une veine de plus en plus commerciale. Souvent présente lors des séances, Marie-Anna Kliska, la petite-amie et future épouse de Jacques, prêtera sa voix sur deux phrases de la chanson. Après tant d’efforts, une première récompense sera la réaction enthousiaste de Dominique Blanc-Francard en charge de mixer Les Yeux de Laura.
Sombre histoire de prostitution sur fond de synthpop où l’on entrevoit les influences new wave du groupe, Les Yeux de Laura est un morceau redoutablement efficace qui sort dans le commerce en 1986 sous une première pochette représentant le détail d’un vitrail d’église. Mais au bout de plusieurs semaines, rien ne se passe, jusqu’au jour où, après leur première apparition télévisée, Jean-Eric claque la porte. C’est à ce moment que Marie-Anna entre en jeu, prenant la place de Jean-Eric pour un duo qui sera dorénavant féminin et masculin, et le 45 tours ressort avec une nouvelle photo qu’ils réalisent eux-mêmes pour trois fois rien.
WEA, le label, décide enfin de miser sur le disque, de booster la promo et de commander un clip à Laurent Boutonnat. Ce dernier se voit pourtant contraint de décliner au dernier moment, pris par le lourd tournage de Libertine pour Mylène Farmer. Il recommande toutefois un autre réalisateur, Stéphane Lambert, au jeune groupe dont le clip scénarisé, à l’ambiance aussi sombre et énigmatique que le morceau, met en avant la beauté charismatique et froide de Marie-Anna sur fond de trafic de femmes et de thriller. La VHS du clip sera envoyée aux médias dans un coffret de luxe incluant de faux bijoux et une corde de guitare. Les Yeux de Laura commence enfin à se faire entendre et fait son entrée au Top 50 fin janvier 1987. Le 45 tours se hisse à la 24e place en mars et marche également en clubs, boosté par les nouveaux remixes d’un jeune DJ prometteur qui fait ses armes sur NRJ : Dimitri.
Après une période financièrement difficile, Goûts de luxe se produit désormais régulièrement en galas pour des cachets très avantageux, Marie-Anna se retrouve en télé derrière le synthé et le duo déclare à la presse que Les Yeux de Laura est inspiré du film Les Yeux de Laura Mars : « Peut-être plus pour l’affiche, d’ailleurs, qui est superbe, que le film en lui-même. C’est un titre qui existe depuis longtemps déjà… », et que leurs goûts musicaux se portent vers le Velvet Underground et Alice Cooper. Après le marathon promo, Goûts de luxe pense à son prochain single et le choix se porte sur Omaha Beach, titre sur lequel Marie-Anna sera beaucoup plus présente. Après un bon démarrage, le single sera pourtant sacrifié à la suite d’un changement d’équipe au sein du label. Le troisième et dernier single, Dans un autre pays, se fera chez EMI en 1989, mais il souffrira de guerres internes à la maison de disques et signera la fin de Goûts de luxe. Jacques poursuivra sa carrière en tant que DJ puis producteur. Tout récemment il a sorti le single Electronique analogique sous le nom de The Joy Society.