Emmanuelle – Tu seras à mes pieds

En 1989, Emmanuelle a déjà deux gros succès à son palmarès : Premier baiser (disque d’or et 10e meilleure vente de 45 tours de l’année 1986) et Rien que toi pour m’endormir (disque d’argent en 1987). Deux albums ont été réalisés par Gérard Salesses et Jean-Luc Azoulay (alias Jean-François Porry) dans un style rétro 60’s inspiré des mélodies que ce dernier écoutait dans sa jeunesse. Mais à 26 ans, et c’est bien naturel, la jeune chanteuse souhaite s’émanciper des bluettes à l’eau de rose concoctées pour elle par son producteur.

1989 sera l’année du renouveau. Emmanuelle annonce des changements dans sa vie privée, et ceux-ci vont de pair avec son désir d’évolution professionnelle. Elle se dit plus épanouie, mieux dans sa peau et « beaucoup plus libérée ». « Je crois qu’il faut changer dans la vie parce que d’abord on en a besoin, et puis j’ai beaucoup voyagé pendant huit mois, j’ai rencontré beaucoup de gens », explique-t-elle à Pour le plaisir sur FR3 Alsace le 21 mai. Elle a l’habitude depuis cinq ans de passer du temps aux États-Unis où elle a rencontré des musiciens, sans tout d’abord penser à faire de la musique avec eux. Mais alors que l’heure du troisième album est venue, l’idée se fait plus précise. Elle fait part à son producteur de ses envies de plus en plus prenantes de nouveauté et de sons différents. Il y a sans doute aussi une recherche de crédibilité artistique qui va pousser l’équipe à revoir sa stratégie.

« Emmanuelle était une chanteuse populaire, qui vendait beaucoup de disques, mais qui ne passait pas beaucoup dans les radios, qui n’était pas très respectée dans les Victoires de la musique… Donc on a décidé avec Gérard et Emmanuelle de faire un coup de promo pour nous amuser », racontait récemment Jean-Luc Azoulay à l’émission Générique – TV Show. Il faut repositionner l’image de la chanteuse, et pour cela on créé pour elle un nouveau label, Stiger Records (elle était auparavant chez AB Hit) et on déguise aussi les noms de ses auteurs-compositeurs. Jean-Luc Azoulay raconte : « On est allé enregistrer à Los Angeles et on a changé nos noms et un peu le style d’arrangements. J’avais à l’époque des cassettes que j’ai perdues, hélas, d’émissions de radios où les gens disaient : « Emmanuelle tu as vraiment bien fait de changer d’équipe, ça au moins c’est des gens sérieux. » C’est Emmanuelle qui nous a trouvé nos pseudos. » Gérard Salesses est renommé Mel Dickopson, héros d’un roman qu’elle avait lu, et Jean-Luc Azoulay devient Fitzgerald Artman, comme John Fitzgerald Kennedy et Artman car : « tu es un homme de cœur », lui aurait-elle dit. En plus de pseudonymes à consonances américaines, la petite équipe part effectivement enregistrer à Los Angeles. « Les Américains sont beaucoup plus accessibles et donnent vraiment d’eux, en France c’est toujours plus difficile de travailler avec une star de la musique alors que là-bas c’est beaucoup plus simple », commente Emmanuelle.

Si les neuf nouvelles chansons qui composeront son disque sont majoritairement écrites par Salesses et Porry (Emmanuelle apportant sa contribution à l’écriture des textes pour la première fois), l’équipe de musiciens et d’ingénieurs du son qui les entoure est presque totalement américaine. On trouve notamment Otis Stokes aux arrangements mais également aux chœurs et à la composition de deux titres. S’il fait surtout partie du groupe Lakeside, Stokes a fait des chœurs pour Janet Jackson, écrit pour le groupe Shalamar et pour Jermaine Jackson. Le reste du casting est formé de pointures comme Greg Mathieson ou Casey Young qui ont travaillé pour Donna Summer, Tina Turner, Michael Jackson… Pas étonnant donc que le son du nouveau disque se fasse un peu plus rock et funk.

Cinq mois de travail entre Paris et Los Angeles (d’août 1988 à janvier 1989) sont nécessaires pour mettre en boîte le nouveau disque qui sort au printemps 1989 avec le single Tu seras à mes pieds en éclaireur. Ce sera également le titre de l’album qui s’agrémente d’un sous-titre assez énigmatique pour le public francophone : Poor Rotten Baby. « Pauvre bébé pourri, explique Emmanuelle à Matin bonheur, c’est les Américains qui m’appelaient comme ça parce que je suis un peu capricieuse et j’étais toujours en train d’embêter tout le monde, mais c’est un petit mot très gentil ». Une expression affectueuse utilisée pour qualifier les petites Américaines, « très gâtées, très capricieuses ».

Lorsqu’elle réapparaît sur les écrans de télévisions en mars 1989 pour présenter Tu seras à mes pieds, on a bien du mal à reconnaître la petite Emmanuelle. Nouveau look plus mature et moins sage, mais surtout une chanson beaucoup plus sensuelle, évoquant des jeux de domination. « Tu te traîneras en suppliant » promet la chanteuse sur des synthés langoureux et la guitare de Slim Pezin. On est bien loin du premier baiser… Elle vient présenter pour la première fois son nouveau disque au Jacky Show le 25 février, et par la suite la promotion dans la même émission se fera intensive (on compte au moins sept autres passages de la chanson jusqu’en août). Emmanuelle est également reçue chez Jacques Martin dans Le Monde est à vous, où elle chante en direct une version écourtée de son single, mais également à Sacrée soirée, La Classe, au Club Dorothée bien sûr, et sur les télés locales.

Pour le clip de la chanson, l’équipe d’Emmanuelle veut faire appel à un grand réalisateur, comme Jean-Baptiste Mondino, mais la jeune femme a une autre idée en tête. « Au départ je devais écrire une histoire, et puis au fur et à mesure que j’écrivais l’histoire, je voyais vraiment les images et je suis allée voir mon équipe et je leur ai dit : « Est-ce que je ne peux pas réaliser mon clip ? ». On lui répond par la négative mais Emmanuelle est têtue et sait se faire entendre. Elle réalisera donc le sulfureux clip de Tu seras à mes pieds, une histoire de domination sur fond de fétichisme, avec les lumières de Jacques Rouveyrollis. Si l’on peut y voir des similitudes avec celui de Madonna pour Express Yourself, notons que celui d’Emmanuelle est sorti quelques semaines avant celui de la reine de la pop…

La nouvelle image d’Emmanuelle semble déstabiliser son public mais pourtant le 45 tours va faire une apparition au Top 50 où il atteindra la 43e place fin avril. Avec À L.A. en face B, le disque est également édité en maxi 45 tours promo avec les mêmes titres mais également en CD 4 titres avec en plus deux autre chansons de l’album (À petits pas et Les Garçons à moto).

Il est prévu qu’Emmanuelle enregistre son album en anglais et qu’elle passe l’été aux États-Unis afin d’en préparer la sortie qui doit se faire là-bas à la rentrée. Elle parle également d’une scène parisienne envisagée fin 1989. Mais aucun de ces projets ne se concrétisent, probablement suite aux ventes décevantes de son album en France. Un deuxième single en sera extrait, la ballade Parce que c’est toi, qui n’entrera pas au Top 50. Emmanuelle sera de retour l’année suivante avec un single inédit, Poupée de bois, et la même année, elle assure les premières parties des concerts de Dorothée en Chine (elle s’était déjà produite en première partie de Rika Zaraï à l’Olympia en 1986).

En 2023, quelques semaines après sa disparition, le premier album d’Emmanuelle est réédité en CD avec en bonus tous ses singles, dont Tu seras à mes pieds.

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