Interview de l’ombre – Nathalie : J’sais comment faire avec toi

Nombreux sont les artistes à n’avoir enregistré qu’un disque passé inaperçu… Mais derrière la pochette en papier glacé, les logos de maisons de disques et les sillons finement gravés, se cachent des parcours riches et complexes. Aujourd’hui, découvrons celui de Nathalie, qui a sorti en 1988 un unique disque, J’sais comment faire avec toi, reprise d’un titre déjà proposé par une autre interprète deux ans plus tôt !

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amenée à enregistrer un disque en 1988 ? Était-ce une volonté, un hasard ?…

Ma famille est une famille d’artistes depuis plusieurs générations. Mon grand-père était chansonnier, ma grand-mère faisait du théâtre… ma maman faisait aussi du théâtre, interprétait des chansons à texte…. Je me suis mise à chanter moi-même assez vite ; ma mère me faisait chanter devant les amis. Dès qu’il y avait du monde, elle me demandait Colchiques dans les prés. C’était très mignon, mais à la fin j’en avais ras-le-bol de cette chanson-là ! À 18 ans, je lui ai dit : « Ok, maman, c’est plus de mon âge maintenant ! » (rires) J’ai commencé à interpréter des choses qui me correspondaient plus… Du Barbra Streisand, par exemple. En fait, j’aime tout ce qui sort du blues et du jazzy.

Et qu’est-ce qui vous a amené du jazz à la variété ?

Ce disque n’est pas venu tout seul ! Ça faisait déjà 10 ans que je galérais et que je fréquentais plein de musiciens ! J’ai fait beaucoup de danse, du hip-hop, de l’urban… J’essayais d’être une artiste complète… La danse, c’est un plus sur scène. En 1981, j’avais même quatre petits danseurs blacks avec qui je me produisais dans les boîtes. Bon, on faisait surtout de la danse, car je n’avais pas encore de chansons. Avec des musiciens, j’ai fini par enregistrer deux maquettes mais c’était fait avec un tout petit quatre pistes et ça ne s’est pas concrétisé. J’ai fait aussi plein de petits rôles et de la figuration dans des films à la fin des années 1970.

Comment rencontrez-vous votre producteur ?

C’était le fils d’une amie de ma mère, donc je le connaissais déjà un peu avant. En fait, ma mère me poussait, et ils avaient déjà parlé de ça dans mon dos. Finalement, en 83, il est venu me voir en me disant : « T’es jolie, t’as une jolie voix »… et il m’a proposé de travailler ensemble.

Vous dites avoir eu des problèmes avec lui…

C’était un producteur véreux, comme il y en a tant dans le milieu… Il débutait dans la production (il avait emprunté de l’argent à ses grand-mères…) et il n’y connaissait rien en musique… Bon, un producteur n’est pas musicien, mais quand même… Il ne m’a jamais trouvé de galas… juste deux ! Toutes les autres dates, je les ai trouvées moi-même. J’ai une anecdote : quand je devais chanter « Ton regard malin m’apeure », du verbe « apeurer », il me disait : « mais non, c’est « ton regard malin, ma peur » », car il ne connaissait pas le verbe ! Je me disais : « les paroles sont assez cul-cul comme ça, mais faut pas exagérer ! » (rires) Bon, et surtout ça a été très très long…

Long à quel point ?

Ça a mis deux ans avant qu’on enregistre les premières maquettes et trois ans avant que le disque ne sorte vraiment ! J’ai donc attendu cinq ans avant d’avoir un disque. Cinq ans pour faire un 2 titres, on n’a jamais vu ça ! Je devenais folle. Ça n’avançait pas, et je n’attendais que ça… Il a fini par me faire signer un contrat de cinq ans. J’étais trop heureuse alors je ne me suis pas posé trop de questions. Il faut dire aussi qu’il me l’a fait signer un soir où j’étais un peu pompette… Ma mère m’a dit que je l’avais signé un peu vite. Pourtant, c’était elle qui m’avait poussée à chanter ! Mais quand on a regardé de plus près le contrat, il y avait plein de choses qui n’allaient pas…

Comment vous a-t-il vendu la chose ? « Je vais faire de toi une star », etc. ?

Je ne voulais pas être une star. Comme tous les artistes, j’aime qu’on me regarde, qu’on m’aime, mais c’est surtout parce que je suis de nature assez extravertie. Ce qui m’a poussée, c’est avant tout le goût de la liberté, et l’extraordinaire sentiment d’extérioriser ce que tu as en toi avec la musique. Mais forcément, il m’avait donné de l’espoir avec ce contrat.

Comment s’est fait le choix du titre phare, J’sais comment faire avec toi ? Étiez-vous au courant que la chanson était déjà sortie en 1986 chantée par Élodie Rome ?

Oui, mon producteur connaissait l’un des musiciens qui avait bossé sur ce titre je crois, et surtout il adorait cette chanson… Élodie ne savait pas vraiment chanter, il y avait plein de faussetés dans son interprétation, et ils ont voulu refaire le disque pour le relancer. Mais ils ont voulu refaire les arrangements pour que ça colle plus à 1988. On voulait faire du style Jeanne Mas, qui accroche.

Pour vous qui aimez plutôt le jazz et qui présentez aujourd’hui de nouveaux morceaux dans cet esprit, est-il naturel de chanter un morceau de variété ou n’est-ce pour vous qu’une étape, un tremplin vers autre chose ?

Tout à fait, c’était commercial et c’était un peu cul-cul (rires). Mais la chanson était jolie, agréable, il y avait un beau solo de guitare à la fin, on n’avait que des bons musiciens… Bref, je me disais que c’était bien pour commencer.

Mais ce n’est donc pas vous qui avez choisi les deux titres du 45 tours ?

Non, et ça me désolait de ne pas les avoir écrits, alors que j’écris depuis toujours. Les paroles étaient mignonnes, mais c’était loin d’être une chanson à texte ! Attention, je ne dis pas que je fais mieux, mais quand j’écris, c’est du vécu… ça me correspond davantage, sans que cela n’empêche tout le monde de s’y retrouver.

Vous dites préférer la face B, Mousquetaires ?

Ah oui, car celle-là a été écrite spécialement pour moi. Les paroles étaient plutôt jolies, et j’aimais l’ambiance « Moyen Âge » de la musique. J’avais un excellent arrangeur.

Votre interprétation de la face B est très différente de la face A, beaucoup plus douce et dans les aigus, c’était volontaire ?

Évidemment ! La première chanson était un peu coquine, il fallait y aller, avoir une interprétation plus forte, un peu sexy. Alors que la seconde est plus douce, je lui ai donné un côté plus « petite fille ». J’ai beaucoup travaillé. Mais il faut dire que j’ai été à bonne école ! Mon arrangeur, Laurent Castellvi, m’a appris beaucoup de choses sur la musique et le chant.

Comment avez-vous travaillé au bout du compte ?

On enregistrait dans un petit studio à Dreux, chez la maman de Laurent. Comme on avait tous des boulots à côté, on enregistrait les week-ends. J’étais chouchoutée, on mangeait toujours très bien ! On enregistrait surtout la nuit. On commençait vers 17 h-18 h et on allait se coucher vers 5 h du matin. Mais l’enregistrement final s’est fait dans un grand studio à Paris et j’ai enregistré la chanson en une journée.

En 1988, le disque sort enfin ! Quel accueil reçoit-il ?

L’accueil a été bon ! J’ai fait de nombreuses scènes et galas à travers la France, le Nord, la Belgique. J’ai été coup de cœur NRJ Côte d’Azur, j’ai fait la tournée Top 50… On avait pressé 5 000 exemplaires qui ont été distribués par la Fnac et ils ont tous été vendus.

Comment expliquez-vous que le disque n’ait finalement pas décollé ?

Quand on a tout vendu, il y a eu une demande de la Fnac qui demandait pourquoi il n’y avait pas d’autres exemplaires. Avec ne serait-ce que 10 000 ou 15 000 exemplaires de plus, j’aurais pu monter. Mais ça n’a pas été le cas… Mon producteur n’avait pas d’argent pour en presser d’autres. Le pire, c’est que je n’ai rien touché sur la vente de ces disques. Il m’a dit : « Je fais ça pour te rendre service, t’as une jolie voix, mais il faut que je rembourse ce que j’ai investi. » Comme il ne m’a jamais rien versé, j’ai gardé l’argent des galas, d’autant que je les trouvais moi-même… 

Et qu’est-ce qui…

Attendez, il faut que je vous dise un truc ! Comme ça commençait à ne plus aller très bien, ma maman, qui connaissait Patrick Sébastien – c’était un ami de la famille, elle faisait les mêmes cabarets que lui – est allée le voir et lui a parlé de mon disque. À l’époque, ça commençait à marcher très fort pour lui. J’étais un peu sur la réserve, un peu timide, car ça faisait un bout de temps que je ne l’avais pas vu. Mais il a aimé, il m’a dit : « T’as le talent, t’as tout ce qui faut, il te manque le coup de chance ! » Il était prêt à me le donner, mais en voyant mon contrat, il a dit : « Pourquoi tu as signé ça ! Je ne peux rien faire tant que tu es là-dedans, mais reviens me voir après ».

Et vous êtes retournée le voir ?

Non… Ceci dit, grâce à lui, j’ai chanté pendant deux semaines non consécutives dans un grand complexe, resto, boîte, petite salle de spectacle… C’était à Aurillac, chez Jean-Louis Lassale. Patrick était ami avec lui et m’avait présenté. La salle pouvait contenir jusqu’à 500 personnes et c’était plein à craquer tous les soirs ! On était comme des coqs en patte, ils avaient une super équipe, du super matériel, bref, j’ai adoré ! Mais une fois que mon contrat avec mon producteur s’est terminé, je ne suis pas retournée voir Patrick… J’ai tout arrêté… je ne voulais plus, j’étais trop dégoutée, et j’avais d’autres soucis…

Vous dites avoir fait une dépression après cette expérience…

Oui, après une période d’investissement et d’espoir, j’ai eu le sentiment d’une trahison. Je me suis fâchée avec mon producteur, je ne l’ai jamais revu, je ne sais même pas ce qu’il est devenu. Je regrette juste qu’on se soit fâchés avec Laurent car il avait du talent mais je ne l’ai jamais revu non plus. J’aurais pu faire beaucoup mieux mais je ne sais pas me vendre… J’ai plutôt tendance à attendre qu’on me propose, mais je ne suis pas du genre à quémander et à faire n’importe quoi pour y arriver…

N’avez-vous jamais sorti d’autres disques ? Ou participé à d’autres aventures musicales ?

Non, je suis sortie trop dégoûtée de cette expérience… On a quand même fait des démos, d’autres choses… Il y avait J’dessine des fringues que j’avais écrite et dont la musique était presque finie… mais rien n’est jamais sorti. J’ai eu aussi une expérience originale dans un restaurant lancé en 89 par un comédien ami de ma maman. C’était un restaurant à thème sur les années 40 et la Seconde Guerre Mondiale. On s’est beaucoup investies avec ma maman et d’autres amis, on faisait le service comme dans un resto normal mais on jouait aussi des rôles. Moi je jouais la fille des parents qui revenaient des Amériques, très coquette, et je chantais à la fin. Ça avait bien démarré. On a eu une belle couverture médiatique, France Soir, Paris Match, et même pas mal de télés, les JT, MTV USA, ABC News Angleterre… Malheureusement l’affaire n’a duré que huit mois car le mec n’a pas assumé et a mené la belle vie au lieu de payer les traites du boucher… Donc fermeture administrative. J’étais encore plus dégoûtée car on a tous bossé comme des dingues sur ce projet, et ma maman n’avait plus 20 ans non plus…

Et ainsi s’est terminé votre contrat ?

Non, tout à la fin, en 91, on avait enregistré des maquettes pour un album, Les Femmes d’hier !

Les Femmes d’hier ? Pour une équipe qui voulait sonner Jeanne Mas, qui a triomphé avec Femmes d’aujourd’hui, c’est plutôt amusant ! C’était volontaire ?

Pas du tout ! Jeanne Mas, ce n’est pas ma tasse de thé… mais c’est Jean-Marie Moreau, le fameux parolier, qui a écrit Les Femmes d’hier, alors peut-être y a-t-il pensé…

Pouvez-vous nous en dire plus sur cet album avorté ?

On avait fait une version longue pour les clubs et tourné une vidéo qui devait être produite par Gérard Pullicino. Il y avait de super musiciens… Christophe Deschamps… D’autres dont le nom m’échappe mais qui avaient travaillé pour Mylène Farmer… On avait travaillé sur un titre qui devait s’appeler Loin, loin, loin qu’un auteur connu avait écrit pour moi. Mais comme nous nous sommes séparés, cet album n’a jamais vu le jour, et les maquettes sont restées telles quelles. Par contre, un jour, dans une supérette, à la radio, j’ai entendu ma chanson Loin, loin, loin, chantée par Hélène Ségara (NDLR : il s’agit de Loin, le premier single d’Hélène Ségara, sorti en 1993). Mon producteur avait dû revendre la chanson à celui d’Hélène. Ça n’allait déjà plus mais là, ça a été la fin de tout. J’étais dégoûtée. Je ne pouvais plus chanter sans avoir une boule dans le ventre et pleurer. J’ai arrêté purement et simplement de chanter.

Qu’est-ce qui a motivé votre « retour » musical ces derniers temps, alors ?

Il m’est arrivé beaucoup de galères très grosses mais j’ai toujours su toute seule me relever. J’ai fait beaucoup de métiers. J’ai toujours fait de la voyance gratuitement mais je me suis lancée professionnellement en 1998. En 2014, j’avais retrouvé une situation stable, ça m’a donné envie de me remettre à chanter.

Cette fois, vous êtes dans un registre beaucoup plus jazzy, comme vous aimez ! Qui fait les musiques ? Les paroles ?

J’ai toujours beaucoup écrit. Par contre, pour les musiques, j’achète des beats, des packs, je glane sur Internet des instrumentaux qui me plaisent, et qui m’inspirent des textes.

Quelles sont vos attentes par rapport à ce nouveau projet ?

C’est pour le fun, j’ai retrouvé ma passion, je m’éclate ! Le son n’est pas terrible car j’enregistre ça à la maison ; avec l’âge et la cigarette, ma voix a changé, est devenue plus grave… Mais j’ai 56 ans, j’ai envie de me faire plaisir, de faire ce que je veux. Je vais rentrer en studio enregistrer quatre titres au propre. J’ai envie de me l’offrir. C’est un plaisir personnel, et aussi un partage avec les gens qui me suivent, mais si jamais (et je dis bien si) il arrivait que cela plaise à un producteur, je pense que je dirais oui ! Mais pas pour faire des millions, je ne suis plus assez jeune !

Propos recueillis par Antoine HLT
(Interview initialement publiée sur le blog 80’s de l’ombre en 2017)

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