
« Il y a quelque temps, mon ami Gene Simmons m’a mis en tête l’idée de faire un album pop avec des chansons contemporaines. La maison de disques a même aimé cette idée. Il ne restait plus qu’à trouver avec qui travailler », expliquait Liza Minnelli en 1989, à la sortie de son album Results. Son ami Gene Simmons, aussi étonnant que celui puisse paraître, n’est autre que le bassiste du groupe Kiss, qui lui dit en substance qu’il ne comprend pas qu’une artiste de son envergure n’ait encore aucun tube à son actif. Il est vrai qu’à ce moment de sa carrière, la chanteuse et actrice américaine de 43 ans, fille des légendes Judy Garland et Vincente Minnelli, n’a connu aucun succès commercial avec un single. Il faut dire que ses enregistrements, entre bandes originales de films, jazz, country et variété traditionnelle, l’ont tenue relativement éloignée de la pop calibrée pour les charts. Elle déteste son dernier album studio en date, Tropical Nights, une tentative disco enregistrée en 1977 et qui n’a connu aucun succès. Mais en cette fin de décennie 1980, Liza Minnelli vient de signer chez Epic Records, grâce notamment au fameux Gene Simmons, qui a manifestement une idée en tête. Mais qui serait capable de produire un album pop à tendance commerciale tout en tenant compte de l’image et de la personnalité de la chanteuse ?
À l’époque, Tom Watkins, alors manager des Pet Shop Boys, est à New York pour un rendez-vous chez Epic à propos d’un autre groupe dont il s’occupe et qui cartonne en Europe, Bros. Il entend dire que Liza Minnelli vient juste de rejoindre le label et il laisse entendre qu’une collaboration avec Neil Tennant et Chris Lowe de Pet Shop Boys serait chose possible. Si les Anglais ont récemment collaboré avec Dusty Springfield (leur single commun What Have I Done to Deserve This? s’est classé n°2 aux États-Unis), c’est avec la chanson Rent que Minnelli fait connaissance avec les Pet Shop Boys. « Une chanson très directe, qui disait : « Je t’aime, tu paies mon loyer ». Et pour une raison quelconque, cela m’a frappé ». Tant et si bien que la chanteuse en gravera sa propre version sur le disque à venir.
En attendant, à Londres, la perspective de travailler avec une légende américaine réjouit Neil et Chris. Si la collaboration est tout d’abord censée se limiter à quelques titres, l’entente entre les trois protagonistes est telle que le duo anglais réalisera l’entièreté du disque avec Julian Mendelsohn, une collection de reprises mais également de titres originaux spécialement écrits pour Liza. La crainte d’avoir affaire à une diva exigeante sera rapidement dissipée lors des premiers rendez-vous et, a contrario, c’est Minnelli qui soulignera l’exigence artistique du duo, ce qui n’est d’ailleurs pas pour lui déplaire et ce qui apaise sans doute ses craintes quant à cette incursion dans l’univers de la dance-pop. « Ce sont les gens les plus compliqués, ils ne font aucun compromis sur rien, mais c’est comme ça que j’aime travailler, ils savent exactement ce qu’ils veulent ».
« Liza est quelqu’un qui nous fascine. Au début des années 1970, j’étais fan de David Bowie et Roxy Music, et Liza Minnelli avec Cabaret faisait partie du même mouvement à l’époque… Avoir quelqu’un, une chanteuse et une star de son envergure, qui chante vos chansons, c’est quelque chose qui ne vous est pas proposé très souvent… C’était du miel… Ça a été un plaisir de travailler avec Liza », confiera Neil Tennant. C’est évidemment parce qu’ils connaissent son parcours que les Pet Shop Boys sauront mêler leur univers au sien. Et c’est d’ailleurs ce qui frappe à l’écoute de l’album, on entend toute la théâtralité de Liza Minnelli sur une pop électronique typique du duo. L’équilibre est respecté, comme on pourra le découvrir sur le premier single extrait de l’album, Losing My Mind. La chanson est extraite de la comédie musicale Follies de 1971, écrite et composée par Stephen Sondheim, que Neil Tennant découvre lors de la reprise du spectacle à Londres entre 1987 et 1989. Après quelques essais préliminaires en studio à New York sur la chanson Tonight is Forever (qui figurait sur le premier album de Pet Shop Boys et qui sera conservée pour Results), les garçons enverront des maquettes à Liza avant qu’elle ne les rejoigne en studio, à Londres, au printemps 1989. La chanteuse est en effet en tournée et doit se produire au Royal Albert Hall avec Sammy Davis Junior et Frank Sinatra du 18 au 22 avril. C’est donc parfois la nuit, après les concerts, que la chanteuse se rendra en studio pour compléter ses sessions d’enregistrement.
Si elle s’en remet complètement à Neil et Chris et se plie de bonne grâce à leurs exigences, elle demande toutefois un petit changement à la maquette de Losing My Mind. « On avait fait cette maquette au studio RAK pour voir si ça pouvait marcher avec Liza et c’est Chris qui a trouvé le riff qui sonne un peu comme Physical. Liza détestait le cri qu’on avait pris sur un CD de samples, et elle a refusé qu’on le mette sur sa version. A posteriori, je crois qu’elle avait raison parce que ça fait un peu trop gimmick », expliquera Neil. La version Pet Shop Boys sera commercialisée en 1991, en face B du single Jealousy.
À l’origine, Losing My Mind est une « torch song », une chanson sur un amour obsédant qui va mener sa narratrice jusqu’aux limites de la folie. La production entêtante des Pet Shop Boys soulignera cet aspect. Avec un clip réalisé par Brian Grant (Duran Duran, Kim Wilde, Tina Turner…), Losing My Mind sort en single au Royaume-Uni le 5 août 1989 et c’est un succès immédiat avec une 6e place atteinte dans les charts. Le pari est gagné et la reconversion de Liza Minnelli en reine de la pop, le temps d’un album, est réussie. Elle fera même son unique incursion au Top 50 en France à la 42e place fin décembre 1989 (l’album sera classé 49e). En 1990, lorsqu’elle recevra un Grammy Legend Award aux États-Unis, c’est Losing My Mind que Liza Minnelli choisira d’interpréter. L’album Results sera certifié disque d’or au Royaume-Uni et en Espagne et trois autres singles en seront extraits.