A ses débuts en 1981, le groupe anglais Talk Talk n’est perçu que comme une formation new wave de plus, à la Duran Duran, ayant du mal à imposer sa crédibilité. Mais la roue tourne en 1984 lorsque Talk Talk publie son second album, It’s My Life. Avec l’arrivée de Tim Friese-Greene à la production, les compositions du groupe prennent un nouveau virage. Un changement nécessaire selon Mark Hollis, chanteur et pilier de la formation, qui a choisi Friese-Greene pour ses qualités d’écoute, sa capacité à s’adapter à différents genres musicaux (il vient de produire trois singles très éclectiques) et surtout parce qu’il sait s’effacer au service du groupe, préférant miser sur l’émotion plutôt que sur la perfection technique.
Après le succès du single It’s My Life en Europe et aux États-Unis, Such a Shame est sélectionné pour lui succéder. Ecrite par Mark Hollis, la chanson est inspirée du roman L’Homme-dé de Luke Rinehart, dans lequel le personnage principal décide de soumettre ses choix de vie aux résultats d’un dé à jouer, ce qui le pousse à endosser différents rôles. La phrase « In these trembling hands my faith tells me to react », qu’on retrouve dans la chanson, est d’ailleurs directement extraite du livre. Une thématique anti-commerciale revendiquée par Mark Hollis, amoureux des contrastes et des contradictions. Oscillant musicalement entre la new wave et la synthpop, Such a Shame offre un refrain grandiloquent, une rythmique calibrée et des claviers lancinants. L’intro du morceau est immédiatement identifiable, notamment grâce à ses barrissements hypnotiques.
Le groupe souhaitait utiliser de vrais cris d’animaux pour son nouvel album et demanda à son tourneur d’aller capter quelques enregistrements live au zoo de Regent’s Park à Londres. Mais parasitées par les commentaires des visiteurs en promenade, les cassettes furent inutilisables. Selon les interviews, Mark Hollis déclarera qu’en monnayant leur visite en dehors des heures d’ouverture les enregistrements au zoo purent être refaits, mais il affirmera aussi a contrario que l’idée des cris authentiques fut abandonnée au profit d’une recréation en studio. C’est cette hypothèse qui reste la plus probable et d’ailleurs confirmée par Ian Curnow, claviériste sur l’album, qui explique que le cri de l’éléphant a pu être reproduit grâce à un oscillateur. Quant au son de basse si distinctif du morceau, il a été créé par Paul Webb (bassiste du groupe) en jouant de son instrument posé sur ses genoux avec un tournevis.
Pour la pochette du 45t de Such a Shame, le groupe fait appel à nouveau à l’illustrateur James Marsh, collaborateur récurrent. Plutôt que de présenter des photos de ses membres, Talk Talk opte en effet pour une communication visuelle faite d’illustrations graphiques qui deviendra une véritable marque de fabrique. En toute logique pour Such a Shame on reprend l’idée principale du morceau, à savoir le dé. Réalisé par Tim Pope, le clip présente Mark Hollis changeant de personnalité selon le tirage d’un dé qu’on retrouve en incrustation dans l’image.
Commercialisé en mars 1984, Such a Shame ne connaît pas un succès retentissant au Royaume-Uni où il n’atteint que la 49e place des ventes de disques. C’est en Europe continentale que le single trouvera un écho plus favorable : n°1 en Suisse et en Italie, n°2 en Allemagne et en Autriche, n°7 en France où le titre ne s’installe au top 50 qu’en janvier 1985 mais s’y vend à plus de 400 000 exemplaires. Pascal Nègre, alors attaché de presse, se voit confier la promotion en club du maxi 45t de Talk Talk qui contient en face A It’s My Life et en face B Such a Shame. Convaincu du potentiel de la face B, il demande aux Djs d’écouter en priorité Such a Shame dont le succès supplantera effectivement It’s My Life. Aux États-Unis le 45t fait moins bien que It’s My Life en se classant 89e du Hot 100 mais 12e dans les discothèques.
Un morceau inédit de bonne facture, Again, a Game… Again, est placé en face B du 45t en Europe tandis que pour les Etats-Unis on préfère Call In The Night Boy, un titre de l’album. Trois versions longues sont réalisées pour les maxi 45t : le 12″ Mix, le US mix et le Dub mix (tous deux remixés par Steve Thompson). En 1990, lors de la sortie de la compilation Natural History, Such a Shame connaît à nouveau une publication en single avec une nouvelle pochette, toujours signée James Marsh, et un remix par Gary Miller. La France propose en 1994 un CD 2 titres exclusif de Such a Shame (comprenant pour la première fois le US mix en CD) à l’occasion d’un nouveau best of du groupe.
Devenu un classique des années 80, Such a Shame est souvent repris et l’on peut signaler la version de Sandra qui en fait un single en 2002 extrait de son album The Wheel of Time.