Après une pause discographique de deux ans et quelques mois de congés sabbatiques, Véronique Sanson reprend sa plume et son piano et s’attelle à la conception de son neuvième album studio, Moi, le venin. Le titre est pour le moins surprenant pour une chanteuse qui projette habituellement une image bienveillante, mais il rappelle les heures sombres et les tourments qui l’agitent depuis toujours, comme les connaissent bien ses plus fervents admirateurs. Inspiré du titre d’un film de Robert Hossein, Toi, le venin (1959), c’est Violaine Sanson, sa sœur, qui va lui en donner l’idée à l’écoute des nouvelles chansons qu’elle trouve singulièrement chargées de violence.
En effet Véronique n’a jamais été aussi âpre dans son propos, mais ce venin qu’elle distille tout au long du disque lui est inspiré par un sentiment de révolte, révolte du monde dans lequel elle évolue mais aussi révolte des sentiments amoureux qui s’expriment ici sans ambages. Allah tout d’abord, qui ouvre l’album et créera la polémique, est un hymne anti-terroriste dans un Occident qui craint de plus en plus les menaces et les attentats des extrémistes : « elle a donné sa vie pour ta cause » mais « au nom de quoi fais-tu la guerre ? ». Puis dans Un peu d’air pur et hop elle écrit en réaction à un article qu’elle vient de lire et qui l’inquiète sur l’avenir de la planète : « je voudrais lobotomiser tous les pollueurs de rivières ». Radio vipère s’en prend à la rumeur, ou à une certaine presse avide de ragots, « les passages au pilori, c’est tout leur passe-temps favori », quand dans Jette-le elle incite une femme maltraitée à se libérer de son joug : « jette-le, et prends un homme qui t’aime, et qui te veut… ».
L’autre pendant de Moi, le venin c’est bien sûr l’observation à la loupe des vicissitudes amoureuses, thématique indissociable de la plume de l’interprète de Redoutable, Etrange comédie et L’amour qui bat. Jet set dépeint un coup de foudre « insensé », un désir qui rend fou, un « ouragan permanent », un fil qu’elle continue de tisser dans Le Désir « plus fort que tout sur terre », où la folie et la brûlure sont encore là même si dans Caméléon l’amour semble plus léger et « change les couleurs du bonheur », il apaise à peine le désespoir d’une femme résignée et déterminée (« si mes démons reviennent, je les attends, qu’ils viennent, ils ne tueront plus rien »). Le disque se referme sur un constat pas plus optimiste que le morceau d’ouverture avec le formidable Mortelles pensées, une lettre d’amour poignante, exprimant regrets, fautes, désespoir, mélancolie, rancœur… « jusqu’à ce que la mort de l’un, ou bien de l’autre, souffle la bulle de nos amours ». Ce dernier texte, écrit alors qu’il manquait encore une chanson à l’album, lui est venu d’un trait alors qu’elle allait se rendre au studio, sur un papier sur lequel elle s’apprêtait à lister ses courses.
Au programme des compositions, toutes de la main de la chanteuse, on retrouve une pléiade de musiciens chevronnés (Jannick Top, Manu Katché, Slim Pezin, Basile Leroux…), les cuivres et les bois qu’elle affectionne tant sont présents sur quelques titres, les cordes sur Marie et Mortelles pensées, tandis que, époque oblige, les synthés font leur apparition autour du piano de Véronique. Et même si l’ensemble reste d’excellente facture, on a tout de même tendance à préférer l’enregistrement live qui sort l’année suivante et où le son est, forcément, plus « vivant » et chaleureux.
Allah
Enregistré entre septembre et novembre 1988, Moi, le venin doit être prêt pour envahir les bacs des disquaires le 22 novembre de la même année. Mais la maison de disque trouve qu’Allah, le titre choisi pour ouvrir la promo, manque d’efficacité. Luigi Calabrese, PDG de WEA, propose à Véronique de faire retravailler le titre par Michel Berger, également artiste WEA. Il est vrai que ce dernier sort tout juste du succès phénoménal de l’album Babacar de France Gall, du dernier live de Johnny qu’il réalise, et qu’il s’apprête à lancer la nouvelle version de Starmania. Il faut dire aussi que l’idée des retrouvailles Berger/Sanson, 16 ans après De l’autre côté de mon rêve, est l’assurance d’une bonne publicité pour le nouveau disque. Difficile pour Sanson de refuser une telle opportunité de renouer professionnellement avec Berger, et de son côté ce dernier accepte également de retravailler le morceau qu’il ne trouve pourtant pas vraiment bon. Mais tout doit se faire très vite car l’album doit sortir et Michel Berger réorchestre Allah en une soirée avec quelques musiciens au studio Gang. Une version plus longue que celle réalisée par Véronique et aux synthés plus présents, au texte un peu plus incisif aussi, gommant l’allusion alternative à Dieu pour ne se focaliser que sur la mention d’Allah. La chanteuse s’avèrera peu satisfaite du résultat mais laissera faire la maison de disque tout en proposant tout de même sa propre version en bonus du CD single d’Allah qui sort en novembre, tout comme l’album.
Si les rotations radio d’Allah fonctionnent bien et que Véronique se plie au jeu de la promotion, Moi, le venin connaît un démarrage difficile. C’est alors que survient, au moment où elle va entamer une série de concerts à l’Olympia du 28 février au 26 mars 1989, une affaire dont on va lui parler pendant longtemps. A une époque où une fatwa est lancée contre Salman Rushie qui publie Les Versets sataniques, Véronique Sanson reçoit des menaces directement liées à sa chanson Allah. Comme elle s’en expliquera à Libération : « Cette chanson, je l’ai écrite comme une prière à Allah lui-même. Vraiment pas comme une insulte. C’est contre l’intolérance, le fanatisme. Pas contre l’islam. Je respecte la religion musulmane. » Il n’empêche que les médias s’emparent immédiatement du sujet qui prend des proportions qui dépassent la chanteuse et son entourage. Affirmant qu’Allah n’est pas une chanson militante, elle décide de la retirer du programme de l’Olympia. Certains lui reprocheront un manque de courage, et d’autres, comme Yves Simon, lanceront un appel dans Le Monde au « refus du diktat de tous les intégrismes ». Certaines radios suspendront les diffusions d’Allah.
C’est en tout cas au moment où l’on parle le plus de son disque que celui-ci fait son apparition dans le top des ventes : Moi, le venin entre en 22e place le 16 mars (soit presque quatre mois après sa sortie) et reste en tout 16 semaines classé dans les 50 meilleures ventes. Un disque d’or lui sera d’ailleurs décerné la même année pour 100 000 ventes. En 2001, alors que Warner demande une mise à jour des certifications des anciens albums de la chanteuse, c’est un double disque d’or qui lui est remis.
Paranoïa
Puis, en avril, comme un pied de nez à l’affaire Allah, c’est Paranoïa qui est choisi comme deuxième single avec Marie en face B, un titre qui sera plébiscité sur scène, par ailleurs joli moment de l’album Comme ils l’imaginent en 1995. En France, Paranoïa fonctionnera moyennement mais ce sera le tube de l’album au Québec où Véronique se rend plusieurs fois en 1989 pour jouer d’abord avec l’Orchestre symphonique de Montréal, puis ensuite seule au piano pour les Francofolies.
Enfin, pour clore l’exploitation de l’album en fin d’année, c’est Un peu d’air pur, et hop !, morceau enjoué sur un rythme reggae, qui est envoyé aux radios françaises, tandis que le Québec optera pour Radio vipère.
L’année s’achève sur un événement important de la carrière de la chanteuse avec une série de concerts au Théâtre du Châtelet avec l’orchestre symphonique Fisyo de Prague, on y retrouvera une sublime version orchestrale de Mortelles pensées, qui méritait bien ce traitement de faveur.
Berger a complètement massacrer « Allah ». Je comprend que Véro n’est pas été satisfaite. Berger est un mec vraiment surestimé. Certes il peut faire des bons titres pour des chanteuses sans personnalités comme France Gall qui est au final rien qu’une interprète. Mais Véro elle a besoin de personne pour composer.
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