Interview – Léo Carrier/New Paradise : une épopée disco

paradise back to america

Débarqué sur la planète disco en 1977 avec le hit Back To America, le trio féminin New Paradise a connu plusieurs succès au cours de ses multiples incarnations, des changements de castings et de noms. Produit par Léo Carrier, le groupe est fondé par celle qui deviendra sa compagne, Tiffanie, figure de proue de la formation de ses débuts jusqu’aux années 90.
A l’occasion de l’apparition récente du répertoire remasterisé de New Paradise sur les plateformes digitales mais également de la sortie d’un coffret 4 CD en édition limitée, Léo Carrier revient pour nous sur l’histoire du groupe et de sa carrière dans l’industrie musicale durant laquelle il a côtoyé, entre autres, Francis Lai, Claude François, Karen Cheryl, Claudia Cardinale, Phil Barney, Cerrone, Bernard Minet…

Vous avez eu une longue et prolifique carrière !

Oui, pour faire ce métier il faut en vouloir et puis il faut de la chance, la chance des rencontres. J’ai rencontré Francis Lai quand on était tous les deux un peu débutants en tant que faiseurs de chansons et ça a continué, on a créé nos éditions et on a fait Un homme et une femme, Love Story et des tas de choses… Donc ça a été beaucoup de chance et sans ça la suite n’aurait peut-être pas été la même.

Vous avez commencé en tant que chanteur dans les années 60 ?

Léo Carrier

Oui, tout le monde fait des bêtises dans la vie (rires), il fallait bien mettre le pied à l’étrier un jour.

Vous avez ensuite poursuivi par l’édition, la production…

En tant que chanteur j’ai fait quelques disques, même un album, je passais à l’année chez Patachou donc j’étais très heureux mais ce n’était pas ce que je cherchais, alors j’ai commencé à travailler dans l’édition, d’abord avec les Américains, et puis avec Francis Lai, et plutôt que de travailler pour les autres on a monté notre affaire.

Comment rencontrez-vous Tiffanie ?

C’est quelqu’un qui m’a envoyé Tiffanie et c’était justement le style de voix qu’on cherchait avec Francis Lai alors on a fait deux trois disques qui, curieusement, n’ont pas eu l’effet escompté en France mais qui ont gagné des prix à l’étranger puisque dès que les Japonais l’ont vue à un Midem ils en sont tombés amoureux. On est allé là-bas, on a fait le festival de Tokyo où elle a eu le prix de la meilleure chanson, après on a fait le festival Yamaha où elle a eu un autre prix… on a fait une tournée avec Bobby Solo et d’autres artistes américains assez connus à ce moment-là et puis un jour, à un gala du Midem, elle voit Silver Convention et elle a l’idée du groupe. Le disco démarrait, ça nous plaisait, c’était sympathique, la musique était très gaie… C’était quand même la joie de vivre à l’époque et elle a eu l’idée de prendre une fille de couleur et une fille d’une autre couleur et on a fait le premier disque qui s’appelait Paradise et qui est sorti chez Ibach.

C’est elle qui a voulu faire du disco et chanter en anglais ?

Absolument. Si on faisait du disco il fallait le faire en anglais sinon ça restait de la variét’ et on voulait sortir de ça. Les copains de l’époque s’appelaient Cerrone etc., on trempait dans le bain complet du disco.

Vous vous mettez également à écrire les chansons de ce premier album de Paradise…

Tout à fait, avec un complice de longue date, Gilbert Di Nino, et un arrangeur belge qui s’appelait Jean-Luc Drion et qui a fait des arrangements qui étaient très proches de ceux de Cerrone. D’ailleurs un jour Claude François m’avait demandé s’il pouvait avoir mon arrangeur, tout le monde trouvait ça très très bien. Dans la chanson Magnolias For Ever de Claude François il y’a des pans entiers de Back to America ! Il avait beaucoup aimé l’enregistrement.

Le premier single est Back to America ?

Ce n’était pas celui sur lequel on croyait au départ, on avait fait un autre titre de l’album qui s’appelait She Was a Star et Mémé Ibach (alias Humbert Ibach, producteur notamment de Karen Cheryl, N.D.L.R.) l’a écouté et m’a dit : « J’adore ce titre, je descends à Europe 1 (puisqu’on était distribué chez Europe 1) et je leur fais écouter, c’est très original, ça me plaît beaucoup ». Et Europe 1 s’est emballé, Mémé est remonté en fin d’après-midi et m’a dit : « Ecoute, c’est tout simple, ils veulent un album entier de Paradise dans 15 jours », et il a fallu qu’on fasse tous les morceaux avec Gilbert et Drion. C’est là qu’on a fait Back to America et tout le monde a préféré cette chanson, la maison de disques, la radio…

Et là ça démarre tout de suite, vous êtes classés au Hit-parade…

Les disques se vendaient bien, Mémé appelait tous les soirs pour connaître les ventes, les chiffres passaient entre 7 000 et 10 000 par jour. C’était une époque où le disque se vendait beaucoup et ça se passait très bien.

Qui étaient les deux autres filles du groupe qui ont débuté avec vous ?

Il y avait France-Lise Colletin, mais qui n’est pas restée très longtemps parce que son fiancé ne voulait pas trop qu’elle chante, et l’autre c’était Sonny, on est restés copains, elle passe parfois nous voir à Saint-Tropez. Elle avait comme condition dans son contrat de ne jamais se faire couper les cheveux parce qu’elle avait une chevelure qui descendait jusqu’au niveau des genoux ! Elles ont dû partir au moment où on a fait Showman. D’ailleurs là aussi ça a été incroyable, on est passés chez Warner qui nous a fait faire une vidéo qu’ils ont mis en tête de gondole et c’est parti tout de suite, il y avait du 5 000 par jour régulièrement, Showman a très bien vendu.

Pour le deuxième album, I Am A Song, vous êtes encore chez Ibach mais vous changez le nom du groupe en Paradise Birds, pourquoi ?

paradise birds i am a song

Parce qu’on avait quand même un petit problème avec mon ami Jean-Marc Cerrone qui avait sorti le titre et l’album Paradise. Jean-Marc m’avait dit : « Je vais m’occuper de ton groupe pour les Etats-Unis » alors là on était encore très copains et puis comme il n’arrivait pas à décrocher ce qu’on avait espéré, et que moi je l’avais décroché avec une société de Miami, on s’est séparés (quand même très copains, d’ailleurs on se voit encore très souvent à Saint-Tropez) et donc pour lui faire plaisir j’ai décidé de changer le nom en Paradise Birds, pour ne pas lui faire du tort.

Vous côtoyez à cette époque Karen Cheryl chez Ibach qui n’est pas encore passée au disco ?

En même temps que je fais le disque de Paradise je fais le disque de Claudia Cardinale, Love Affair, complètement dans le disco, on baigne dans le disco jusqu’au cou. Claudia était une grande amie, elle m’a dit : « Viens à Rome, si ça me plaît on le fait ». Je suis allé la voir à Rome, elle a adoré, on l’a fait. C’était toujours chez Ibach car j’avais un accord avec Mémé : j’avais un bureau chez lui, il sortait mes morceaux et je m’occupais de ses éditions, donc par la force des chose Claudia était chez Ibach. Karen était souvent dans mon bureau, elle a écouté le Love Affair de Claudia Cardinale et m’a dit : « C’est ça que je veux faire ! » Et ça a commencé à créer des problèmes avec Mémé qui voyait son artiste vouloir faire un disque avec moi plutôt qu’avec lui et donc je suis parti parce que je sentais qu’on avait des petits problèmes. Mais après, beaucoup plus tard, je me suis occupé d’elle sur les galas et c’est Tiffanie qui lui faisait sa petite chorégraphie. Donc avec Karen on a toujours été de très bons copains, je l’ai perdue de vue malheureusement mais j’adorerais la retrouver un jour.

On lui fait pourtant faire du disco mais on ne vous demande pas d’écrire pour elle ?

Quand j’ai fait Paradise et Claudia Cardinale, j’avais des bureaux avec les Belges qui travaillaient avec Ibach (l’équipe Van Loo, ceux qui ont fait Patrick Hernandez), et ils m’ont demandé de travailler avec Amadeo, le chorégraphe qui a fait un disque qui marchait bien. Je prenais un peu trop de place dans la maison Ibach qui avait un chanteur de charme qui s’appelait Michaël Raitner, qui chantait très bien et qui avait un gros succès, il est devenu copain avec Tiffanie et moi, venait souvent manger à la maison et Mémé a vu ses artistes venir vers moi, peut-être pour des rapports humains, sympathiques, et là il ne m’a plus rien donné et on s’est séparés, ça a été très difficile d’ailleurs. Mais pas de procès, on s’est arrangés et je suis allé chez Warner où Showman est sorti.

C’est l’album suivant et vous changez à nouveau de nom pour New Paradise ?

Là avec les soucis avec Ibach, comme avec Cerrone, j’ai pas voulu qu’on gêne qui que ce soit alors on a changé de nom pour que ça ressemble à un redémarrage sans se servir vraiment de la réussite de Back to America.

Showman est un succès, notamment dans les discothèques.

Là oui, chaque fois qu’on sortait des disques à ce moment-là ça marchait très bien. Puis Bernard de Bosson, le patron de Warner qui était un grand ami et le patron pour toute l’Europe, change de maison. Et moi sans mes amis et mes appuis chez Warner je n’avais pas envie de rester. Tenté par BMG, qui à l’époque était RCA, nous sortons Easy Life qui là aussi a un gros succès, qui sort aux Etats-Unis… Tout le début de la carrière de Paradise s’est très bien passé.

Il y a en effet une grosse distribution à l’étranger, vous tournez beaucoup ?

Oui, la chance que j’ai eu c’est d’être copain avec Francis Lai car j’ai gardé des contacts à l’étranger de cette époque et quand j’ai eu Claudia ça a fait tilt dans le monde entier, tout le monde est venu vers moi, et du coup j’ai signé Paradise pratiquement partout dans le monde. Ça marchait très bien en Grèce, en Italie… j’avais mes bureaux en Italie donc ça a été une très bonne époque. A la fin de la carrière de New Paradise avec Danse ta vie (Flashdance) elles ont même été classées dans le Billboard aux États-Unis, c’était vraiment inattendu.

Vous avez fait reprendre le tube de Claudia Cardinale par Paradise ?

Oui, ça nous amusait, ça faisait un titre de plus dans l’album et puis, honnêtement, on y était attachés Tiffanie et moi, on aimait bien cette chanson.

Dans les années 80, de nouvelles têtes arrivent dans le groupe.

Il y a d’abord eu Kelly et Nikko qui sont arrivées quand on était chez RCA, elles sont restées un long moment avec nous mais c’est difficile de garder un groupe, on essaye de vous piquer des artistes, elles ont eu des propositions… J’ai décidé de tout changer une fois de plus, on a fait passer des auditions et est arrivée Radiah Frye, qui avait fait Le Sud avec Nino Ferrer, et qui est la maman de Mia, et en même temps on avait quelqu’un qui connaissait les shows par cœur et qui se débrouillait bien, c’était Carol, la fille de Tiffanie. Elle était encore un peu jeune, elle faisait des galas avec nous en même temps qu’elle passait le bac et elle a continué jusqu’à This World Today Is a Mess où là sur la pochette on a une super Mercedes avec laquelle malheureusement on s’est plantés sur la route et ça a été la fin du groupe. Pas vraiment la fin du groupe mais disons que pour les galas ça n’était plus pareil, on n’avait plus envie de faire 500 km, de passer de Paris à Toulouse puis de redescendre sur Marseille, on avait décidé d’arrêter un peu. Comme j’étais un peu la cheville ouvrière de tout ça, je faisais les chansons, je n’avais plus le moral à ça, j’avais été bien touché par l’accident et on a eu du mal à repartir.

Vous continuez encore quelques années pourtant ?

On a fait ensuite Jolie môme, c’était agréable à faire parce qu’on l’a fait avec l’accord de Léo Ferré, d’ailleurs il avait beaucoup aimé et m’avait demandé de lui faire tout un album de ses chansons en disco qu’il voulait enregistrer lui-même mais je n’ai pas suivi le projet… Récemment dans le coffret qui vient de sortir j’ai retrouvé un morceau, Le jour c’est un…, ça c’était la toute fin du groupe, j’ai entendu le remix et j’ai été très surpris de la qualité. J’ai demandé à ce qu’on essaye de me faire des vinyles, des maxis, car en tant que vieux tropézien je vais essayer d’aller voir les boîtes, Jean-Roch étant un ami, je vais essayer de le relancer par les boîtes ici pour s’amuser. J’ai trouvé très bien ce qu’il a fait, il m’a dit : « Tu sais on a monté deux morceaux, Get The Look et Le jour c’est un… » et j’ai trouvé ça très bien. Je vais essayer de relancer ça.

En 1983 vous enregistrer Danse ta vie, l’adaptation de What a Feeling (Flashdance) en même temps que Sylvie Vartan ?

new paradise sophistication

Pour relancer le groupe après l’accident il fallait un gros titre, on avait fait le medley qui avait bien marché, et le patron de chez Vogue m’a dit : « Le prochain disque doit être une bombe », et puis on entend Flashdance, on adore et je me dis que ça serait bien de faire la version française. J’apprends que Sylvie Vartan le fait déjà et qu’il fallait attendre son bon vouloir puisque c’était Michel Mallory (son parolier, N.D.L.R.) qui faisait l’adaptation pour elle. Sylvie Vartan étant dans la même maison de disques que nous, je rends visite au service promotion et je tombe sur un exemplaire promo de Vartan avant la distribution en radios, alors bien sûr j’ai fait la comédie pour en avoir un, on n’avait pas le droit, il ne devait pas sortir de chez RCA mais j’ai quand même réussi à repartir avec une copie du disque et à partir de ce moment-là on avait le texte. La musique était prête, on est rentrés en studio et en deux jours on a fait le disque et on l’a sorti le même jour que Vartan. Mallory ne le savait pas mais ensuite il est resté un fan parce que chaque fois qu’on passait près de chez lui à Marseille il venait nous voir.

Donc il ne vous en a pas voulu ?

Non, mais Vartan un peu plus… Mais Tiffanie était une grande fan… tout comme de Claude François avec qui elle a travaillé au tout début. Sa meilleure copine s’appelait Lydia et c’était la chorégraphe de Claude François qui dansait dans les Clodettes. Tiffanie était tout le temps aux répétitions et puis elle a été prise pour faire des chœurs sur plusieurs titres, notamment Belinda.

A un moment donné dans l’histoire du groupe vous recrutez Phil Barney…

Oui, c’était un garçon adorable qui était DJ à Colombey-les-Deux-Églises – vous voyez il n’y a pas eu qu’un homme célèbre là-bas, il y en a eu deux (rires) ! On a sympathisé, il m’a montré un peu ce qu’il savait faire, il faisait du rap, de la soul… il avait énormément de talent, à tel point que je l’ai signé, je lui ai fait son premier disque. Et j’avais besoin d’un rappeur, on était vraiment parmi les premiers à faire du rap, et il l’a fait très gentiment sur deux trois morceaux. A l’époque il y avait Les Trophées de la discothèque, c’était Mourousi qui faisait ça, et on avait gagné le prix du meilleur medley, et dans le medley il y a tout un rap qu’il a fait sur scène avec nous.

Il y a quelqu’un d’autre qui a collaboré à ce medley c’est Bernard Wantier, qu’on a connu plus tard en tant que Bernard Minet…

C’était un copain batteur de Gilbert Di Nino avec qui j’ai commencé à travailler et sur les premiers titres faits avec Tiffanie, dans le petit trio que j’avais engagé pour faire les maquettes, il y avait Bernard Minet, il a fait longtemps des séances avec nous.

En 1982, Tiffanie produit le groupe Shaker…

C’est Bernard Minet qui chante ! Il m’a dit qu’il avait envie de faire un disque alors comme c’était un copain j’ai dit : « Je vais te le produire », ils étaient deux garçons et une fille mais ça n’a pas marché…

Aujourd’hui le répertoire de New Paradise est toujours compilé, il y a des DJ qui s’en emparent, qu’est-ce que ça vous inspire de savoir que vos chansons sont toujours écoutées ?

Qu’ils fassent des remixes en discothèque je trouve ça très sympathique mais quand j’entends dans un disque qu’on a pris des plans à nous sans nous le dire je trouve ça un peu gros, mais bon… on n’a plus l’âge d’embêter les autres.

Vous pensez quoi de ce coffret quatre CD qui vient de sortir ?

C’est un travail de titan, c’est merveilleux ! C’est toute la carrière de New Paradise. Ça nous a fait très plaisir. Parce que finalement c’est un groupe qui a eu une jolie carrière. Récemment Le jour c’est un… a été utilisé dans un film avec Pamela Anderson aux États-Unis et il y a quelques mois I Love Video dans un film avec Guillaume Canet, L’amour est une fête.

Les productions étaient de qualité et aujourd’hui on redécouvre, on réutilise les morceaux…

J’ai eu la surprise récemment à Saint-Tropez d’entendre Easy Life dans la version remixée par Began Cekic. Le DJ m’a dit que tout le monde ici le demandait. Il est resté des classiques dans ce qu’elles ont fait.

On ne vous a pas proposé de refaire des galas ?

On a eu la possibilité de faire les croisières des années 80 et on ne l’a pas fait pour venir vivre ici à Saint-Tropez mais ça a créé la nostalgie, on voit tout ça très volontiers, ça nous amuse. C’était des enregistrements très riches, j’ai dépensé des fortunes, on prenait des orchestres de cordes, des grandes rythmiques, des chœurs… c’était des grosses productions. Et puis je n’étais jamais satisfait des mixes alors il fallait refaire, au studio de la Grande Armée on m’appelait Monsieur remix parce que je disais toujours « on va refaire », je trouvais toujours que ce n’était pas assez bien.

Propos recueillis le 18 mars 2019.
Merci à Arnaud de Musiques & Solutions.

Le coffret 4 CD de New Paradise The Whole Story est en commande sur le site Club 80 !

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