Interview – Philippe Julémont/Loop The Loop

Loop The Loop Griffe 80's Pop Music Deluxe

Durant la décennie 80, le groupe belge Loop The Loop va passer des petites salles du plat pays aux prime times de Jean-Pierre Foucault et Michel Drucker. En quelques 45 tours, le groupe va se faire un nom et signera en France avec le producteur de Jeanne Mas qui nous le fera connaître avec Sous la griffe de l’animal ou encore Au bout de la nuit.
A l’occasion de la parution d’une compilation remasterisée de leurs enregistrements (pour la plupart inédits sur CD), le bassiste Philippe Julémont revient pour nous sur l’aventure Loop The Loop.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de Loop The Loop ?

On forme Loop The Loop au tout début 81, après la découverte des premiers albums de Duran Duran et de Spandau Ballet, au départ c’est vraiment les deux artistes anglais qui font référence et d’ailleurs on chante en anglais et on est complètement marqués par toute cette new wave qui vient d’Angleterre.

Vous êtes des amis ?

Loop The Loop Au bout de la nuitNon pas du tout, sauf Didier Dessers et Patrick Flamand, qui eux sont à l’académie des Beaux-Arts, ils font des études de dessin ensemble, moi je fais des études de décoration. Je joue dans des groupes depuis 78 parce que je suis en plein dans le mouvement punk, j’écoute les Sex Pistols, les Stranglers, Clash… A cette époque tu montes un groupe punk et trois semaines plus tard tu fais ton premier concert devant des gens. Ça a complètement libéré plein de jeunes musiciens, puisqu’avant on sortait de Yes, Genesis… tous ces groupes où il fallait faire six ans de conservatoire pour pouvoir jouer. Certains vont rester dans cette dynamique de rock assez dur et d’autres vont s’ouvrir à cette pop, voire à cette new wave. A ce moment-là je jouais dans un groupe d’abord punk puis après un peu rock et je réponds à une annonce. J’avais déjà une sensibilité un peu dance, un peu funk et donc à la basse je pouvais me débrouiller dans ce genre de choses-là. Visiblement ça leur plaît et on forme le groupe avec Didier le clavier, Philippe le batteur et moi à la basse. A ce moment-là on n’a pas encore le même chanteur ni le même guitariste.

Ensuite vous enregistrez un premier 45 tours ?

On se dit que pour se lancer on va auto-produire un premier 45 tours, Last Night et Human Being, dans un petit studio pas loin de chez nous, ce qui nous permet de jouer sur scène. On commence à roder le groupe. On n’est pas encore tout à fait pop, on chante en anglais, on a un chanteur qui est complètement dans un autre esprit que ce que sera Dani plus tard. C’est une très chouette expérience, on n’en vend pas des tonnes mais ça nous permet surtout de tourner en Belgique, ce qui est primordial pour un groupe comme nous.

Les disques Arpège c’était vous ?

C’était un studio qui avait une petite firme d’autoproduction. On bossait vraiment beaucoup et le truc était bien au point, c’était un premier 45 tours pour se trouver, une carte de visite. Nous on voulait jouer, on voulait tourner et ça s’est fait.

Vous aviez des jobs chacun de votre côté à ce moment-là ?

Non, jusqu’à la fin de Loop The Loop on a tout dédié à la musique. Moi je venais d’avoir mon diplôme de décorateur mais on s’est dit depuis le début « on va tout donner à ça, c’est notre passion, on va le faire ». Et tout début 82 il y a un concours à la radio belge, le Rock mitaine, où on demande aux groupes d’envoyer une démo. Juste avant on venait de faire notre première télé pour un autre concours, le Chewing-Rock présenté par Georges Lang, et donc on propose à la RTBF un titre qui s’appelle Miroir et qui va être le deuxième 45t parce qu’on gagne ce concours. Le gain c’est donc un 45t produit par une maison de disques. On commence à faire de la télé, même s’il n’y en a pas 10 000 en Belgique, et on joue dans des salles un peu plus grandes. Le disque a un succès assez sympa ce qui nous permet de continuer à jouer en concert, ce qui était le but, et d’avoir une audience qui s’ouvre un peu.

Là vous enregistrez au mythique studio ICP à Bruxelles…

Le directeur du studio nous avait à la bonne, on s’entendait bien avec lui et pourtant il produisait déjà Bashung, Indochine… Nous on était les petits Belges, il nous aimait bien et nous faisait des facilités, nous permettait d’enregistrer à partir de 20 h pour un prix dérisoire. On est produit là par un petit label belge mais surtout le réalisateur du disque est Roland de Greef, le bassiste d’un groupe qui est très connu chez nous, Machiavel, et qui réalisera aussi Sonnez l’alarme. On va pouvoir faire les premières parties de Machiavel et monter les échelons petit à petit, s’installer dans ce tout petit marché qu’est la Belgique.

Sur le dos de la pochette vous êtes désormais sept.

Au départ on se cherchait un peu. On avait deux choristes, Françoise et Laurence, et très souvent on nous appelait les Kid Creole, dès qu’il y avait deux filles dans un groupe on t’appelait Kid Creole and the Coconuts. A un moment elles ont quitté le groupe et on s’est retrouvés à quatre. On n’a jamais eu de guitariste officiel sur Loop The Loop, on en a eu cinq ou six différents sur les dix ans d’existence. A ce moment-là en effet arrive Dani (Daniel Dupont), le chanteur qui a fait la carrière qu’on a fait après. On a les quatre piliers qui ne changeront plus et puis il y aura de temps en temps un guitariste. Mais à partir du moment où on est arrivés en France, très vite on n’aura plus de guitariste officiel.

Ensuite c’est Sonnez l’alarme

On enchaîne, Miroir marche bien, on sent déjà bien l’esprit Loop The Loop avec les petites mélodies au clavier un peu minimalistes, pop française, on vient d’écouter Frankie Goes to Hollywood, des groupes un peu plus puissants, on a toujours été portés vers la culture anglo-saxonne. Sonnez l’alarme est beaucoup plus large au niveau du son et ça continue, on joue sur toutes les scènes en Belgique, on vend honnêtement mais le marché est minuscule et il va falloir penser à regarder vers ce grand pays qui a une grande capitale avec une Tour Eiffel.

Comment vous y prenez-vous ?

Loop The Loop Sous la griffe de l'animalOn prend six mois pour se concentrer sur la composition et je crois que les premières notes qui vont sortir c’est le gimmick de Sous la griffe de l’animal. On se retrouve avec six ou sept titres qu’on met sur une cassette et on se dit « qui va-t-on aller voir ? Quel producteur pourrait ressentir qui nous sommes ? » On est en plein dans cette vague de pop française qui explose partout, Jean-Pierre Mader, Images, Gold, Daho… On cherche qui pourrait sonner français mais avec un petit côté anglophone, alors il y a plusieurs personnes qui nous intéressent et il y a notamment une fille qui cartonne et qu’on trouve intéressante, c’est Jeanne Mas. Même si à la base notre cœur est plus à Londres qu’à Paris, on écoute toujours Duran Duran, Ultravox, a-ha, Tears For Fears, on envoie notre cassette à sept ou huit maisons de disques. On a des refus, on a des « c’est pas mal mais revenez plus tard » et puis il y a Jean-Marc Aouizérat et Robert Bindschedler, producteurs de Jeanne Mas, qui veulent nous voir. A ce moment-là en 86, Jeanne Mas c’est peut-être l’artiste qu’on voit le plus, elle a une dégaine, elle a quelque chose d’un peu rock’n’roll donc on se dit que ça pourrait convenir. Le producteur nous dit : « Je vous attends jeudi à 11h ». On quitte Bruxelles, le rendez-vous est sur les Champs-Elysées alors pour nous c’est un peu particulier, et on nous avait prévenu que s’il n’aimait pas il allait nous jeter comme des malpropres, il écoute la cassette et il vous la jette au visage au bout de dix secondes s’il n’aime pas. Donc on arrive au rendez-vous et justement à ce moment-là sort Jeanne Mas, elle ne sait pas qui on est alors elle ne nous capte pas du tout évidemment. On arrive dans la salle d’attente et en effet on voit les disques d’or de Jeanne Mas. Aouizérat et Bindschedler sont producteurs indépendants, ils ont leur propre label, Platine Records, distribué par Polygram. Alors il met la cassette, le premier riff clavier de Sous la griffe de l’animal démarre, dix secondes se passent, vingt secondes… il écoute tout le morceau mais on ne décèle rien sur son visage. Il rembobine, il écoute une deuxième fois et nous dit : « Allez manger et revenez à 14 h ». Finalement il nous sort le grand jeu : « Je vais vous produire un single tous les six mois, un album après un an etc. » Et nous les quatre petits Belges sortants de notre banlieue on se dit que c’est ce qu’on a voulu depuis toujours. Il nous donne une semaine pour réfléchir mais c’est tout réfléchi pour nous, on signe ce contrat. Le lendemain on a chacun une avance, tout va très vite, on se dit que le morceau est bon et qu’il peut fonctionner.

Ce sera donc le premier single pour la France ?

Voilà, il décide que Sous la griffe de l’animal sera le premier titre à sortir, nous dit qu’on va tout miser sur celui-là. Il nous demande si on a une préférence pour le studio alors on parle de l’ICP qui est à côté de chez nous et cette fois on ne va plus enregistrer le soir mais la journée. Il y a un gros budget, ça va être très bien produit, remixé par Blanc-Francard… On a rendez-vous chez des couturiers, ils mettent ce qu’il faut, on va être content pendant longtemps. Et surtout il y a deux tueuses chez Platine Records c’est Dominique et Martine Perthus qui sont les attachées de presse. Elles ont pignon sur rue parce qu’elles ont Jeanne Mas et que tout le monde veut Jeanne Mas. Quand elles vont appeler Drucker, Foucault, Dechavanne, ils vont tous prendre Loop The Loop. Et la première télé qu’on va faire c’est C’est encore mieux l’après-midi de Christophe Dechavanne. Et quand on revient en Belgique forcément tout le monde en parle parce qu’à ce moment-là il y a très peu de groupes belges qui ont fonctionné en France et durant une interview on dit que ça s’est super bien passé avec Dechavanne et il lit l’article et nous dit : « C’est sympa ce que vous avez dit, revenez la semaine prochaine on va vous repasser ». La semaine d’après on fait Sacrée soirée et quand tu fais ça tu vends 10 000 singles le lundi matin. On va faire Champs-Elysées… tous les 20 h 30 avec ce premier 45t parce que les attachées de presse ont un carnet exceptionnel. Le 45t marche tout de suite et on fait un clip, que je ne trouve pas extraordinaire mais qui est fait par une grosse équipe et qui permet de passer sur M6. On fait ce que vous adorez pendant les années 80 : des galas. Des galas en discothèque, la tournée Ricard etc., on joue tous les soirs, c’est de la folie pure, deux ou trois titres, mais pas en playback total parce qu’on n’aime pas ça. Quand on a fait Jacques Martin on a chanté et à la fin on a continué le morceau a capella et Martin a dit : « Ah, enfin des jeunes artistes qui savent placer une note derrière l’autre ».

Sous la griffe de l’animal sort dans une première version puis ensuite il y a un remix avec une nouvelle pochette…

Nous on n’est pas au courant de tout ça, on enregistre le simple mais on ne s’en occupe pas. Les années 80 c’est vraiment le moment des remixes, pour passer en discothèque c’est primordial. On tourne tous les soirs avec Vanessa Paradis, Partenaire Particulier, François Feldman… toute cette pop française qui est un vrai courant. Donc beaucoup de galas mais pas de concerts malheureusement. Dès le départ il y avait deux options : aller vers des labels qui s’occupent de groupes un peu plus rock et d’autres qui s’occupent plus de variétés. On a sans doute fait l’erreur de se placer avec un producteur de variétés alors que dans l’âme, je ne vais pas dire qu’on était rock, mais quand on écoute Sonnez l’alarme ou encore les morceaux prévus pour l’album, c’était plus rock.

Puis vous enchaînez sur Au bout de la nuit.

On se dit qu’on va faire un truc un peu différent, parce que sur les sept titres qu’on avait produits il y avait déjà Au bout de la nuit, qui faisait un peu plus Police, un peu plus Every Breath You Take. Sur la lancée de Sous la griffe on enchaîne et ça marche autant, sinon mieux, et on fait à nouveau toutes les télés. Avec toujours des galas en playback avec le chant en live.

Vous êtres frustrés par ça ? parce que ça ne vous correspond pas ?

Oui, mais comme Duran Duran l’a vécu aussi, toutes proportions gardées bien évidemment (rires), alors que ce sont des musiciens exceptionnels. Dès que tu es un peu bien fringué et que tu fais un peu de pop tu es catalogué, tu n’as pas l’ouverture du canal pop-rock qui fonctionne avec de vrais concerts, là où on était bien meilleurs. Qu’est-ce que j’ai pu faire semblant de jouer de la basse quoi… (rires) En Belgique on jouait en live. La frustration commence un peu là.

A ce moment on vous fait enregistrer un album ?

Loop The Loop Comme une aventureOn travaille sur un troisième titre, et se dégage Comme une aventure, mais on sent bien qu’il se passe quelque chose dans l’équipe de Platine Records, on ne saura jamais vraiment mais je pense qu’ils ont brûlé la mèche par les deux bouts… On va enregistrer Comme une aventure, on va faire beaucoup de télés mais plus les 20 h 30, avec un 45t qu’on n’aurait pas forcément choisi, on voulait déjà un peu bifurquer et montrer un autre côté de Loop The Loop mais on voulait nous refaire faire la même chose. Quand tu es artiste c’est pas du tout ce que tu veux faire. Alors le disque marche moins bien, quand il y a moins d’envie les choses se sentent. On aimerait en parler aux producteurs mais ils sont parfois injoignables, on sent qu’il se passe quelque chose… Les deux attachées de presse nous appellent pour nous dire qu’elles quittent Platine Records, il y a des problèmes financiers, ce dont on se doutait un peu, et on met deux jeunes garçons à la place qui ont un carnet d’adresse qui tient sur une demi-page. On va en studio pour enregistrer l’album, on enregistre Passer la rivière qui sera le single suivant et puis six autres titres à ICP où on nous dit : « On attend le paiement pour les premières heures mais continuez ». Et l’argent n’arrivera jamais… et là tout part en vrille, on enregistrait depuis 15 jours et il faut tout arrêter. On a les bandes ici d’un super album qui n’est jamais sorti… On va faire quelques télés avec Passer la rivière, qui est l’un de mes titres préférés, on va faire un petit clip en Suisse mais on voit bien qu’il n’y a plus rien derrière et on va se retrouver en 89 en constatant qu’on a signé un contrat de cinq ans et que ça nous mène jusqu’en 91 et qu’on ne peut pas rompre le contrat. Pendant deux ans on est prisonniers. Alors pendant quelques mois on va composer dix titres en se disant que peut-être ça va nous rendre l’envie, mais moi début 90 je vais partir. J’étais tellement déçu par le monde du show-biz, ça s’est terminé tellement tristement avec cet album avorté, les producteurs qui disparaissent en laissant une ardoise à l’ICP… Rester deux ans comme ça c’était pas possible, et j’avais déjà d’autres choses en tête. Et moi partant les autres arrêtent aussi. Il reste un mystère au niveau de la production… parce que si on avait pu rompre le contrat, on avait quelques bons titres, on aurait pu continuer.

Quel regard portez vous aujourd’hui sur ces années-là ?

Maintenant j’ai un regard extrêmement agréable par rapport à ces dix ans, c’était dix ans merveilleux ! Il y a tellement peu de groupes qui partent de leur cave et qui y arrivent. Je l’ai extrêmement bien vécu et j’en garde un souvenir merveilleux.

Vous avez des nouvelles des autres membres du groupe ?

Je n’ai plus revu Dani, Didier et Patrick. Didier, le clavier, a continué pendant quelques années une belle carrière en Belgique en tant que producteur, notamment sur les deux derniers albums de Pierre Rapsat, il est toujours musicien. Dani a donné des cours de chant, il avait une école de spectacle, et moi j’ai opté pour ma passion pour le voyage.

Aujourd’hui vous faites encore de la musique ?

J’écoute de la musique 24 h sur 24 mais je suis devenu guide touristique aux Etats-Unis, c’était ma deuxième passion, et maintenant j’ai ouvert une agence de voyage. Mais il n’y a pas un moment où je n’écoute pas de musique, je vais voir des concerts tout le temps. J’ai trois basses mais il faudrait que j’enlève les toiles d’araignées… Ce qui a été ma chance c’est d’avoir une autre passion derrière. Désormais je peux regarder en arrière, ma carrière musicale, avec beaucoup de sérénité et pas d’aigreur, j’ai la vie que je voulais, je fais plein de voyages et ça me permet de me retourner et de regarder cette compile qui sort avec un grand sourire. Il y a une vie après la musique. Je pense qu’on aurait pu être plus importants que ça parce qu’on avait beaucoup de choses à dire. Mais l’étiquette c’est quelque chose de terrible. Quand tu fais un style de musique c’est extrêmement difficile d’en sortir.

 

Propos recueillis le 13 mars 2019.

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