Johnny Clegg n’est pas un novice lorsqu’il débarque au Top 50 en 1987 avec Scatterlings of Africa, le morceau qui l’impose en France et qui existe en fait déjà depuis plusieurs années.
Né en Angleterre, Johnny Clegg arrive à Johannesburg en Afrique du Sud à l’âge de 7 ans. Sa mère a été chanteuse de cabaret et travaille désormais dans une maison de disques et rapporte à Johnny les dernières nouveautés. Celui-ci se prend de passion pour la folk et les chanteurs engagés comme Dylan, ou encore la musique celtique, et apprend à jouer de la guitare acoustique. En plein apartheid, Johnny se plaît à errer dans les zones interdites de la ville où il découvre la musique que jouent les Zoulous dans les rues, une musique qui ne lui semble pas tellement éloignée de ses propres influences. Il se lie d’amitié avec Sipho Mchunu avec qui il commence à jouer, intégrant complètement la culture et la langue zoulous et apportant sa part d’influences occidentales. Johnny et Sipho publient un premier disque en 1976, mélangeant les langues et les genres, et déconcertant les radios qui à cette époque séparent encore musiques noires et blanches et refusent de les diffuser, tandis que les concerts de ce duo multiracial sont la plupart du temps interdits, ou bien se tiennent dans des lieux privés et secrets. Le chemin est encore long…
Mais sous la houlette du producteur Hilton Rosenthal, le duo devient un groupe, Juluka, et publie trois albums entre 1979 et 1982 qui se vendent par le bouche à oreille puisque aucune radio ne veut les diffuser. Juluka commence pourtant à se faire un nom et notamment en Europe et aux États-Unis où ils sont invités à donner des concerts. Parallèlement, un quatrième album est distribué en 1982 intitulé Scatterlings et sur lequel on trouve la première mouture de Scatterlings of Africa, morceau écrit et composé par Johnny Clegg. Pour la première fois, l’album connaît une distribution internationale et Scatterlings of Africa en est la figure de proue. Ce parfait mélange de rythmes et d’harmonies zoulous sur lesquelles le musicien greffe un texte en anglais fait impression et sort en 45t dans une version raccourcie (le morceau original frôle les six minutes). « On mélange l’Occident et l’Afrique et au sein de ces deux genres, on touche à une foule de rythmes : Zoulou, Shangham, Sutu, Senegal, rock, folk, pop, jazz, funk, etc. » Et c’est tout d’abord la radio indépendante sud-africaine Capital Radio (connue pour ses positions anti-apartheid) qui diffuse enfin la chanson et la fait même grimper jusqu’à la 10e place de son classement. Distribué ensuite dans toute l’Europe, en Amérique du Nord et en Australie, Scatterlings of Africa devient un succès au Royaume-Uni où il est classé 44e en février 1983 (la maison de disque éditera même un 45t picture découpé aux contours de l’Afrique !) mais également en Suède où il prend la 12e place. L’album Scatterlings, quant à lui, est 50e au Royaume-Uni et fait une percée aux États-Unis à la 186e position.
Grâce à Scatterlings et à son succès international, Juluka obtient enfin la reconnaissance en Afrique du Sud. Mais après trois autres albums studio, Sipho Mchunu, fatigué de la vie de tournée, retourne prendre soin de sa famille et de sa ferme et Johnny de son côté (après un album solo en 1985) met en place une nouvelle formation : Savuka. « Nous sommes là pour témoigner que tous les Sud-Africains blancs n’approuvent pas l’apartheid. Savuka représente et parle au nom de beaucoup de gens qui pensent comme nous : un pays, une nation où tous les humains sont égaux en droits », affirme-t-il à Best en septembre 1987. L’album Third World Child paraît en 1987, désormais distribué par EMI, et le premier single extrait en est Scatterlings of Africa dans une version fraîchement réenregistrée et plus courte. « Le Scatterling est un réfugié, un apatride. Le Noir sud-africain est un réfugié dans son propre pays. Mais il en existe une autre définition : le premier être humain est né en Afrique et s’est dispersé (scattered) dans le reste du monde. Chaque être humain est en fait un réfugié venant d’Afrique. Nous possédons tous la même origine. Nous sommes tous, le Noir de Soweto et l’humanité toute entière, des Scatterlings of Africa », explique Johnny Clegg à Rock & Folk en 1988.
À nouveau le single se classe dans les charts anglais à la 75e place, mais c’est cette fois la France qui adopte Johnny Clegg & Savuka qui grimpe jusqu’en 8e position du Top 50 en novembre 1987 et reçoit un disque d’argent pour 250 000 ventes. C’est également un joli succès de discothèques, notamment grâce à sa version longue éditée en maxi. Aux États-Unis, la chanson est incluse à la B.O. du film Rain Man en 1988 et une série de remixes est commandée à David Morales.
L’album Third World Child connaît lui aussi un vrai plébiscite (et notamment avec la parution du 45t suivant, Asimbonanga) et prend la tête du Top en France pendant 14 semaines en 1988, recevant un disque de diamant l’année suivante pour plus d’un million de copies écoulées !
« Je ne veux pas être l’ambassadeur des Zoulous, des Noirs ou de quiconque, mais de l’expérience sud-africaine : la revendiquer en prenant du plaisir, en faisant de la musique, en vivant ensemble et en le montrant », disait celui qu’on surnommera pour toujours le Zoulou blanc.