Tears For Fears – The Seeds of Love

Tears for Fears - The Seeds of Love Pop Music Deluxe

Tears For Fears est de retour en 1989 avec un troisième album. Le groupe anglais aura pris son temps depuis le succès phénoménal de son dernier LP en 1985, Songs from the Big Chair. Un temps nécessaire, mais pas forcément prémédité, pour déconstruire et refaire ce qui s’annonçait comme la suite directe du précédent disque. Tout d’abord le groupe consacra une année éreintante à une tournée mondiale afin de promouvoir Songs from the Big Chair avant de s’octroyer une autre année de repos, mais aussi d’écriture de nouveaux morceaux, puis de finalement s’installer en studio fin 1986 pour poser les premières pierres de ce nouvel opus très attendu.

Le retour à un son plus organique

Durant ces quelques mois de pause, Roland Orzabal, moitié du groupe, a pris le temps d’installer un studio chez lui et s’est mis à composer avec Nicky Holland, claviériste de la dernière tournée, ce qui deviendra une bonne partie du futur disque. En studio, il retrouve donc Curt Smith, l’autre moitié de TFF, avec qui il a choisi de s’entourer des producteurs Clive Langer et Alan Winstanley, connus pour leur travail sur les albums de Madness et d’Elvis Costello. Mais très vite, les deux garçons s’aperçoivent que la direction qu’on veut leur imposer ne leur correspond pas du tout. Après avoir travaillé sur un seul morceau, ils se séparent de Langer et Winstanley et appellent à la rescousse le producteur de leurs premiers disques, Chris Hughes. « Au bout de dix mois avec Chris, ça ne marchait pas non plus… je crois que le problème c’est qu’on avait fait des concerts pendant trop longtemps, nous avions goûté l’ivresse de la scène et du jeu en direct et surtout les restrictions de la musique par ordinateur n’étaient soudain plus acceptables. » En effet, ces longs mois de tournée avec des instruments électroniques et synthétiques qui reproduisent le son de leurs deux premiers albums s’avèrent très vite frustrants. « On a senti les limites imposées par l’utilisation des machines. Car cela limite vraiment ce qu’on peut rajouter à notre musique. » Les garçons ressentent le besoin de revenir à un son plus organique, à une collaboration avec de vrais musiciens : « Pour progresser, nous avons recommencé à jouer nous-même, nous avons voulu être entourés de plein d’autres musiciens pour donner à notre musique une dimension supplémentaire que nous n’aurions pas eue si nous l’avions jouée nous-mêmes sur une batterie électronique. Et puis nous avons réalisé que nous voulions faire de la musique et pas devenir programmateurs d’ordinateurs. Alors il suffisait de revenir à notre idéal premier. »

Sans plus aucun producteur à bord, Roland et Curt vont décider de réaliser eux-mêmes leur disque en prenant plaisir à étirer les sessions d’impros, comme lors de la dernière tournée où une chanson était née des bœufs entre musiciens durant les balances, Badman’s Song, qui figurera sur le nouvel LP. L’idée du texte est partie d’une conversation que Roland surprend entre des membres de la tournée (qui ne se fit pas sans heurts) qui tenaient des propos peu flatteurs à son sujet. L’anecdote ne le laissa pas indifférent et le lendemain il avait écrit le refrain du morceau. Badman’s Song, à la direction très jazz, sera l’une des chansons qui prendra le plus de temps à prendre forme. On essaiera de lui appliquer différents styles avant de s’accorder sur sa couleur définitive et il ne faudra pas moins de 15 jours uniquement pour le mixage de la batterie. « Sur quelques morceaux, nous avons pris six ou sept musiciens et nous avons joué, encore et encore, les mêmes morceaux pendant deux semaines. Les musiciens s’ennuyaient alors ils en rajoutaient. A la fin des séances nous avions peut-être trente prises. Puis on passait des semaines à mixer ».

Les sessions en studio s’étirent en effet de janvier 88 à la fin de l’été 89 avec un casting de musiciens de choix et notamment Manu Katché à la batterie (qu’ils ont connu grâce à Peter Gabriel : « Peter habite Bath comme moi. Comme je le connaissais je suis allé au studio et j’ai rencontré Manu », dira Curt) ainsi qu’une apparition de Phil Collins sur Woman in Chains (« Phil Collins on le voulait pour son style. On ne fait pas la différence entre une star et un inconnu du moment qu’il joue bien »).

Oleta Adams

Autre protagoniste important de ce qui va devenir The Seeds of Love, la chanteuse soul américaine Oleta Adams, qui va non seulement insuffler sa couleur plus acoustique et plus jazz au disque mais également en devenir une vocaliste à part entière. C’est durant leur tournée de 85, au Kansas, que Roland et Curt, sortant de leur chambre d’hôtel, tombent sur une performance de la chanteuse qui se produit alors dans les clubs et les bars des hôtels. « Il y avait juste une voix, un piano et une batterie. Et on a été conquis par cette simplicité. C’était tellement plus soul, plus rempli d’émotions… ». Les garçons sont bouleversés par ce qu’ils entendent mais ce n’est qu’en 1987, alors qu’ils sont en pleine déroute quant à la direction musicale qu’ils vont donner à leurs compositions et qu’ils cherchent à revenir à l’essentiel, qu’ils vont s’envoler à nouveau pour les Etats-Unis afin de retrouver cette chanteuse qui avait su les toucher. Oleta, qui lutte pour s’en sortir dans un contexte où les concerts se font de plus en plus rares et qui a déjà pratiquement perdu espoir de se faire connaître, prend évidemment cette rencontre comme une opportunité et commence très vite à travailler à des morceaux avec Curt et Roland. Et parmi les compositions il y a notamment Woman in Chains, écrite et composée par Roland, qui s’impose comme un duo.

C’est à partir de ce moment que l’album va prendre forme et s’enregistrer quasiment en live, après de longues sessions et des heures d’enregistrement, laissant aux garçons un travail de mixage faramineux pour accoucher de ces huit pistes qui dépasseront parfois les huit minutes. Les chansons sont méticuleusement analysées, un certain nombre d’entre elles seront abandonnées et se retrouveront en face B de singles, leur agencement très réfléchi, et leur simplicité apparente inversement proportionnel au travail fourni. Le mixage prend fin à la mi-juillet 1989 avec l’aide de l’ingénieur Bob Clearmountain et la maison de disques, après des mois de reports et un budget estimé à plus d’un million de livres dont la presse se fera largement écho, s’empresse de sortir un premier single au mois d’août.

Sowing the Seeds of Love

Tears for Fears - Sowing the Seeds of Love Pop Music Deluxe

Et c’est Sowing the Seeds of Love qui en aura la primeur, morceau sans doute le plus radiophonique de l’opus, notamment grâce à ses références très « Beatles » qui seront inévitablement mises en avant par les médias. Un aspect très 60’s que le groupe explique ainsi : « Le morceau fait référence à l’esprit des années 60, quand Paix et Amour n’étaient pas des gros mots. » Mais la chanson, écrite en juin 1987 au moment des élections générales britanniques, est également éminemment politique : « Elle a été écrite pour crier notre déception quand Margaret Thatcher a été réélue, notre dégoût pour le système électoral anglais qui permet que 60 % des gens votent pour quelqu’un d’autre et qu’elle soit encore Premier Ministre parce que la proportionnelle n’existe pas en Angleterre. Ce n’est pas une chanson de colère parce que nous ne sommes pas comme ça, nous ne sommes pas des politiciens professionnels, alors nous avons décidé de faire ça avec humour. La chanson se réfère à l’imagerie de la fin des années soixante, semer les graines de l’amour… l’amour est révolutionnaire… pour créer cette ironie nous avons choisi de le faire à la manière des Beatles pour lui ajouter de l’humour. » Roland ira même plus loin en développant son propos : « L’idéalisme devient vital lorsque le réalisme et le pragmatisme conspirent avec les forces naturelles de la répression dans un système. Dans une société réac, l’amour devient une notion carrément révolutionnaire. » Avec un clip réalisé par Jim Blashfield (qui avait déjà réalisé le Leave Me Alone de Michael Jackson et dont on reconnaît bien la patte) sera primé par MTV et notamment pour ses effets spéciaux. Et pour cette ère qui marque la rupture avec les deux premiers albums, aucun remix ne sera réalisé, le groupe préférant offrir une collection d’inédits en faces B des singles. On trouve donc, couplé à une version légèrement écourtée de Seeds, l’inédit Tears Roll Down sur le 45 tours. Un morceau principalement instrumental composé par Roland durant le tournage du clip de Seeds à Portland et qui ne démérite pas, tant et si bien qu’un couplet lui sera ajouté pour une nouvelle version qui servira de single pour la promotion d’un best of en 1992. Tube de l’album, Seeds atteint la 2e place du Billboard US, la 5e place au Royaume-Uni ainsi qu’une 18e position en France.

L’album The Seeds of Love, très attendu, sort quant à lui un mois plus tard, fin septembre, sous une pluie de critiques globalement élogieuses. Il faut dire que la production radicalement différente y est très réussie, s’articulant désormais autour du piano et de la guitare et mise en valeur par des arrangements sophistiqués. Du splendide jazzy Badman’s Song (où Oleta donne la réplique à Roland avec également la présence d’un chœur gospel) à l’élégant et humaniste Standing On the Corner of the Third World en passant par Swords and Knives (morceau initialement composé pour la BO du film Sid et Nancy mais rejeté parce que jugé pas assez punk) à la ferveur live du plus rock Year of the Knife.

Woman in Chains

Tears for Fears - Woman in Chains Pop Music Deluxe

Le deuxième extrait tiré de l’album en novembre 89 sera Woman in Chains, le duo avec Oleta Adams qui ouvre le LP, un hymne féministe qui a été inspiré à Roland par son intérêt pour l’existence de sociétés non patriarcales. « Je parle de l’oppression des femmes partout dans le monde mais également de la répression de cette âme féminine à l’intérieur de moi-même, et je parle aussi de ma mère », commente-t-il au Washington Post. Un clip en noir et blanc est réalisé par Andy Morahan, réalisateur star de l’époque qui a travaillé avec OMD, Pet Shop Boys, Cyndi Lauper, a-ha, Wham!, Tina Turner…, et le 45 tours inclut cette fois l’inédit Always in the Past, écarté de l’album, tandis que le maxi ajoute My Life in the Suicide Ranks (morceau né des premières sessions de travail et qui figure ici dans sa version première, sans arrangements ni production, « J’ai toujours eu envie d’enregistrer cette chanson correctement mais quelque part cette impro dit tout », commentera Chris) ainsi qu’une version instrumentale de Womain in Chains. A nouveau le single est un succès : 20e en France, 26e au Royaume-Uni et 36e aux Etats-Unis.

Tears for Fears - Advice for the Young at Hearts Pop Music Deluxe

Sans s’arrêter en si bon chemin, le choix d’un troisième single se porte naturellement sur Advice For the Young at Heart qui, selon les mots de Roland, exprime la prise de conscience et l’acceptation de sa propre finitude, celle des responsabilités qui viennent avec l’âge, une sorte d’adieu à l’âge d’or en somme, tout en faisant table rase du passé « mais aussi une prise de conscience que certains aspects de vous-mêmes ne vieillissent pas ». L’une des nombreuses belles réussites de Seeds, la chanson est à nouveau gratifiée d’un inédit en face B, Johnny Panic and the Bible of Dreams, qui aura également son propre destin comme l’expliquera Roland dans les notes de la compilation Saturnine Martial & Lunatic en 1996 : « Le titre a été piqué d’un livre du même nom par Sylvia Plath et, à l’époque, j’étais curieux d’entendre les couplets de Sewing the Seeds chantés comme un rap et c’est donc ça combiné à un refrain inspiré de Talking Heads et placé sur les accords de Shout qui a donné naissance à ce titre.  (…) le morceau a connu de bonnes rotations en clubs où il a attiré l’attention d’un jeune groupe nommé Fluke qui l’a remixé… ». Dérogeant ainsi à la règle de ne pas remixer les titres de l’album, le single sortira en 1991 sans le nom du groupe sur la pochette, se classera n°1 des clubs et 70e des ventes au Royaume-Uni. La version instrumentale de Johnny Panic sera placée sur le maxi 45 tours de Advice For the Young ainsi qu’un autre inédit, Music for Tables. Avec un clip à nouveau confié à Andy Morahan, le single fait moins bien que les précédents avec une 31e place en France, une 36e au Royaume-Uni et une 89e aux Etats-Unis.

Le mot de la fin ?

Tears for Fears - Famous Last Words Pop Music Deluxe

Face au succès de l’album, la maison de disques sortira un quatrième single mais sans l’implication du groupe cette fois, et optera pour Famous Last Words, un morceau qui aurait pu donner son titre à l’album selon Roland qui explique qu’il se pourrait bien que ce soit leur dernier. Il est en effet à noter que ces longs mois de travail en commun n’auront pas évité les tensions entre les deux garçons et la relative absence de Curt à la conception des morceaux (il n’en écrit qu’un) ou au chant (il n’a le lead que sur Advice For the Young at Heart) annonce son départ prochain, même s’il assure toute la promotion conjointement avec Roland en ne laissant rien paraître. Il s’en expliquera au Parisien lors de leur retour pour un concert en France en février 2019 : « Je ne voulais plus faire de musique, j’en avais été dégoûté par la célébrité, la gloire et tout ce que ça impliquait. J’ai déménagé à New York, car j’avais besoin de redevenir anonyme. Quand on est un jeune groupe, votre public a votre âge, il vous suit jusqu’à votre hôtel, vous n’êtes jamais tranquilles. Avec quelques années en plus, c’est plus calme (rires). » Sans promotion du groupe ni contenu alléchant (le single se contente de recycler des titres de l’album précédent), Famous Last Words ne pointera qu’en 83e place au Royaume-Uni.

Mais qu’importe, l’album est (sans dépasser les ventes de Songs from the Big Chair) un succès certifié platine au Royaume-Uni (n°1), Etats-Unis (n°8) ainsi qu’en France (n°3). Tears For Fears négocie ainsi avec intelligence le tournant des années 90 avec un disque que beaucoup considèrent comme son meilleur même s’il signe la séparation provisoire de ses deux piliers. « Ce qu’on veut transmettre c’est que c’est un album très optimiste, engageant, où on invite les gens à y prendre part, c’est un voyage… ».

La collaboration avec Oleta Adams s’étant avérée fructueuse, Roland lui co-produira l’album Circle of One en 1990 : « J’ai demandé à Roland de produire mon album parce que je savais qu’il n’essaierait pas de changer ce que je suis. Il m’appréciait comme j’étais. Ils avaient des chansons que j’avais toujours voulu enregistrer et quelques nouvelles chansons comme Rhythm of Life qui devait figurer sur leur album The Seeds of Love. Ils l’avaient enregistrée, mais ce n’était pas parfait. Mais quand je l’ai entendue j’ai dit que je l’aimais. » L’album d’Oleta sera n°1 au Royaume-Uni et certifié disque d’or.

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