C’est une rencontre providentielle au début des années 80 qui va décider de la carrière de Viktor Lazlo. Née en France d’un père martiniquais et d’une mère grenadienne, la jeune femme (arrivée à l’âge de 4 ans en Belgique) suit des cours à l’Université de Bruxelles tout en donnant de la voix lors des soirées étudiantes. Elle sait depuis toute petite qu’elle veut être artiste mais la chanson n’est pas encore vraiment une évidence.
Lou & the Hollywood Bananas
On la remarque d’abord pour sa beauté charismatique et elle sera d’ailleurs mannequin pendant quelques mois avant que son destin ne bascule. « Je l’ai été pendant une période très courte de ma vie mais j’ai arrêté brusquement, comme tout ce que j’arrête d’ailleurs. Le début de ma carrière a véritablement commencé avec ma rencontre avec Lou Deprijck, mon producteur. Bon, j’avais déjà rencontré d’autres producteurs, mais ils ne me parlaient que de contrats à signer avant de savoir si je pouvais chanter. Celui-ci m’a proposé de faire des essais, d’enregistrer les premières démos, m’a baigné dans le milieu, avant de me montrer un papier à signer (rires). C’était en novembre 1983. » C’est dans un club bruxellois que la rencontre avec Lou Deprijck aura lieu, par l’intermédiaire du directeur de l’agence de mannequin dans laquelle elle est inscrite. Par chance, la jeune femme a un grain de voix chaleureux, velouté et ensorceleur et Lou la rêve en diva du jazz et de la soul. Il va convoquer pour elle tout son réseau de musiciens, car le producteur n’en est évidemment pas à son coup d’essai. Il a monté le groupe Two Man Sound dans les années 70 qui mélange disco et rythmes brésiliens et connaît plusieurs succès (Copacabana en 72, Charlie Brown en 75 ou Disco Samba en 76), puis Lou & the Hollywood Bananas, trio dont il est le chanteur, entouré de deux choristes, qui fait un tube avec Kingston Kingston en 79 (écrit par Jay Alanski). C’est donc tout naturellement que Lou propose d’abord à sa nouvelle protégée d’intégrer son groupe, ce qu’elle refuse catégoriquement : « Je n’ai jamais intégré le trio. Dès le début j’avais précisé à Lou qu’il n’était pas question que je m’abaisse à me travestir en bunny (c’était pour moi une image dégradante de la femme) j’ai uniquement accepté de chanter les chœurs d’une seule chanson, en étant avec lui sur scène, comme son égale. Je crois que j’ai toujours été consciente de la place réservée aux femmes dans la société et je n’ai jamais capitulé » (Sports and People News, 2018). Viktor Lazlo enregistre donc en 1983 le single Oh! Look at me Now (qui paraît aussi en français sous le titre Casanova) en duo avec Lou mais sans être créditée ni apparaître sur la pochette. Elle assure cependant la promotion du titre en télévision et fait la connaissance d’Alain Chamfort qui lui écrira sa première chanson, Backdoor Man, qui sort début 1984. Exactement au même moment on commence à entendre le premier single d’une certaine Sade, Your Love is King, qui pointe dans les classements belges au mois de mai : « Si j’avais été anglaise, on aurait comparé Sade à moi, mais comme c’était un album belge, il n’a pas eu le même impact. » (Le Vif, 2018)
Alain Chamfort, Backdoor Man et les premiers 45 tours
Le succès de Backdoor Man est encourageant et Lou décide alors de lancer sa chanteuse, qui prend désormais le pseudonyme de Viktor Lazlo, inspiré d’un personnage masculin du film Casablanca : « J’ai donné de nombreuses explications à ce choix au fil des années mais la seule qui vaille vraiment, est celle qui a vu le jour au fil de mon travail en psychanalyse. Je crois qu’ayant été élevée dans une famille dominée par les hommes, j’ai dû en déduire que pour avoir voix au chapitre, il fallait être un homme. Alors en « endossant » le nom de ce personnage de fiction, charismatique mais discret, gagnant et plein d’honneur, j’ai dû m’imaginer que je pourrais viser quelque chose de plus grand que moi… De plus important… Et réussir à me dépasser. » (Sports and People News, 2018)
Le double 45 tours Last Call for an Angel / Mata Hari est le deuxième single à sortir en 1984 puis on se lance dans la conception de tout un album, enregistré et mixé à Bruxelles dans les studios I.C.P., avec la crème des musiciens de jazz et deux choristes qui feront vite parler d’elles : Beverly Jo Scott et Maurane. En prélude au 33 tours, c’est un mini-album six titres qui voit le jour en Belgique et en France avec essentiellement des chansons en français et intitulé Canoë rose. L’album, quant à lui, arrivera à la fin de l’année 1985. She, et sa pochette qui met en exergue le regard mystérieux de son interprète, se concentre sur le marché international avec un répertoire en anglais (à l’exception des tubes Canoë rose et Pleurer des rivières). Entre glamour, smooth jazz et variété classieuse, le répertoire de Viktor Lazlo ne laisse pas le public européen insensible et l’album She va enregistrer de très bons scores dans les charts : il atteint notamment la 27e place en Suisse, la 34e place en Allemagne où il fait partie des 60 meilleures ventes pendant 23 semaines consécutives, la 37e place au Japon, et reçoit un disque d’or en Belgique. En France, on peut lire dans Best en juin 1986 : « De toute façon, la Belgique est trop petite pour cette jeune femme volcanique. (…) Viktor Lazlo a décidé un jour d’être une vedette, et je ne vois vraiment rien de plausible qui puisse l’empêcher d’arriver à ses fins. »
Décryptage de l’album à travers ses douze titres qui seront tous exploités sur des singles :
She
Le disque s’ouvre sur un instrumental, un morceau saxo et basse enregistré dans une cave et qui va donner le ton d’une carrière toujours emprunte de sonorités jazzy. She, qui donne son titre à l’album, est une composition de Guy-Bernard Cadière, saxophoniste belge qui joue avec Claude Bofane dans le groupe reggae Seven Roots en parallèle de sa carrière de médecin (futur chirurgien reconnu). C’est au moment où il cherche des choristes pour son groupe qu’il fait la connaissance de la chanteuse qui va alors intégrer deux de ses compositions à son premier album. She apparaît également sur le maxi 45t Sweet, Soft n’ Lazy.
Sweet, Soft n’ Lazy
Autre composition signée Guy-Bernard Cadière avec la complicité de son ami Claude Bofane et la touche de Viktor sur le texte et la musique, Sweet, Soft n’ Lazy est l’un des titres phare de l’album. Le rythme entraînant et chaloupé de la chanson en fait un choix de single évident qui est diffusé en Belgique, Allemagne, Italie et Japon entre 1985 et 1986. Une version longue est créée pour le maxi 45 tours. Guy-Bernard Cadière, convaincu que Viktor est une chanteuse de live, va devenir son manager et organisera son premier concert avec les musiciens de Seven Roots. Emblématique, Sweet, Soft n’ Lazy donnera plus tard son titre à de nombreuses compilations de la chanteuse.
Ain’t Gonna Come
Une composition du guitariste belge Pierre Van Dormael. Musicien de jazz, on lui doit aussi le tube Tout petit la planète de Plastic Bertrand (autre production Deprijck) et des titres pour Philippe Lafontaine ou Mino. Le texte est de la chanteuse et ce sera la face B du single Sweet, Soft n’ Lazy.
Stories / Canoë rose
Le tube de l’album est composé par le camarade et ami de l’Université Libre de Bruxelles Jan Walravens avec la chanteuse à ses côtés. Compositeur et pianiste, Walravens publie ses premiers disques, entre blues et jazz fusion, au début des années 80 en parallèle de ses études à la faculté de philosophie et littérature. Inspirée par cette mélodie, Viktor Lazlo va tout d’abord y poser un texte en anglais comme elle le raconte à Sports and People News en 2018 : « J’ai d’abord écrit le texte anglais de Canoë Rose. Cela s’appelait Autumn Leaves. Cette chanson est devenue un tube en Chine et a été reprise par des artistes chinois. Boris Bergman a été sollicité pour en écrire la version française et s’est inspiré de ce que je lui ai raconté pour coucher le texte sur un coin de nappe en papier dans un café. » Renommé Stories sur l’album, la version anglaise est finalement co-signée avec la collaboration de Gyle Waddy, chanteur et auteur américain installé à Bruxelles qui signera plus tard les adaptations anglaises des premiers singles de Lara Fabian. Présente également dans sa version française sur l’album, Canoë rose, commercialisé en 45 tours en Belgique, France et Japon, devient le premier tube de Viktor Lazlo, celui auquel on l’associe encore aujourd’hui, tout du moins dans les pays francophones. En France, il entre au Top 50 le 3 mai 1986 et reste classé jusqu’au 13 octobre, atteignant la 14e place et dépassant les 150 000 ventes. En Flandre, il prend la 33e place des classements (la Wallonie n’a alors pas encore de classement officiel). Il est à noter qu’une version de Canoë rose très légèrement différente dans le mixage et raccourcie de dix secondes a été placée sur la réédition allemande de l’album en 1986. En 1989, Jan Walravens a repris Canoë rose en version instrumentale sur son album Ambiances. En 1987, il collaborait à nouveau avec son amie Viktor sur un projet de comédie musicale de sa composition. Nonchalance, histoire d’un marin, ne prendra forme que sur un album dont Viktor Lazlo, Maurane et Muriel Dacq sont les principales vocalistes. La chanson Fais-moi confiance, extraite de l’album, sera renommée Manhattan sur la première compilation de la chanteuse. Jan Walravens s’illustre aujourd’hui en tant que comédien de doublage. Désormais classique de la variété des années 80, Canoë rose a été repris par Leslie sur l’album abandonné Futur 80 en 2008 et par Mathieu Rosaz sur Ex-fan des 80’s en 2017. Viktor Lazlo, quant à elle, reprend son tube en version orchestrale sur son album Woman en 2017.
Put The Blame On Mame
Une reprise extraite du film Gilda réalisé par Charles Vidor en 1946 avec Rita Hayworth dans le rôle-titre. Put the Blame on Mame, l’histoire d’une femme fatale à qui incombe tous les maux de la terre, est interprété notamment pendant la fameuse scène où l’actrice chante et danse en retirant son gant de manière suggestive. Un tableau mythique qui contribue à définir l’image glamour et hollywoodienne de Viktor Lazlo fantasmée par son producteur Lou Deprijck.
I Don’t Wanna Love Again
Composition signée du bassiste belge Ferdinand Philippot (musicien de Jo Lemaire) et du guitariste de jazz Antonio Antioco, ce sera la face B du single Loser qui, sur le 45t belge, sera écourtée d’une vingtaine de secondes.
Pleurer Des Rivières
Standard jazz écrit en 1953 par Arthur Hamilton, Cry Me a River (déjà adapté en français par Pierre Delanoë et Christophe) devient Pleurer des rivières pour Viktor Lazlo sous la plume de Boris Bergman. Un tube offert par Lou Deprijck à sa chanteuse sur un plateau d’argent : « … pour mon anniversaire, il m’emmène en studio pour me faire écouter les backings de Pleurer des rivières. Il me dit : « Bon anniversaire. Et maintenant chante. » Le cadeau d’anniversaire a été pour lui puisqu’il s’est fait un paquet de fric avec cette chanson. », commente-t-elle au journal belge Le Vif en 2018. Le parolier Boris Bergman dira, quant-à-lui : « Viktor Lazlo, (…) qui chantait merveilleusement bien, ne voulait pas enregistrer ce titre en français. Le texte lui est arrivé comme revenant tout droit de la pizzeria, c’est-à-dire bien maculé. Notre bon paysan wallon producteur, alia Lou Deprijck, a dit : « Tu l’enregistres ou tu ne l’enregistres pas, ce n’est pas grave, j’ai d’autres choses à faire. » Alors, piquée au vif, elle l’a enregistrée. Mais au départ elle ne voulait pas. Maintenant, je crois qu’elle est contente. » Pleurer des rivières (qu’elle enregistre aussi dans sa version originale mais qui ne paraîtra que plus tard sur une compilation) connaît à nouveau les faveurs du Top 50 en France où il prend la 27e place en mars 1987 et se vend à plus de 100 000 copies. « Être au Top 50 est pour moi une récompense, cela montre que travailler sert à quelque chose, et que si on aime le public, ça marche. On ne peut pas tricher. », déclare-t-elle à la presse de l’époque. Une première version de Pleurer des rivières était déjà au programme du maxi 45t Last Call for an Angel en 1985, une version pas encore tout à fait aboutie où les cuivres n’étaient pas encore présents. Le mixage sera ensuite refait, tout comme celui de Canoë rose, à Paris au Studio + 30, à la différence des autres titres de l’album, tous mixés à Bruxelles au Studio ICP.
Last Call for an Angel
Une chanson qui remonte à 1984, parue en single uniquement en Belgique après le petit succès de Backdoor Man et couplée à Mata Hari dans sa version originale. Last Call for an Angel paraît d’abord en 45t dans une pochette argentée avec la version française de Mata Hari en face B puis dans une pochette dorée avec la version anglaise de cette dernière. Un rare maxi 45t avec une pochette totalement différente est également édité, on y trouve Mata Hari en version remixée (en français et en anglais, c’est la version qui figurera plus tard sur le mini-album Canoë rose et le 45t Pleurer des rivières) ainsi qu’une première mouture de Pleurer des rivières. On note que la version 45t de Last Call démarre avec une intro différente de la version album (pas de batterie et moins de synthé) et que le saxo n’est pas présent sur le pont. La réédition allemande de l’album propose une version encore différente, idem à la version album mais sans la batterie au début. Last Call servira plus tard de face B au 45t Slow Motion distribué en Allemagne. Composition du Belge Pierre Roger (qui écrira aussi pour B. J. Scott, Balade de Lisa pour Viktor en 1992 et qui s’illustrera plus tard dans la musique de jeux vidéo) Last Call doit à nouveau son texte à Boris Bergman.
Backdoor Man
C’est alors qu’il est en promotion sur une émission de RTL fin 1983 qu’Alain Chamfort fait la connaissance de Viktor Lazlo, invitée pour sa part à chanter Casanova avec Lou & The Hollywood Bananas. Peu de temps après, Chamfort reçoit un appel d’Eddy Mitchell qui vient de tourner dans un film de Jean-Pierre Mocky A mort l’arbitre. Ce dernier a besoin de musiques originales pour son film et Mitchell a évoqué le nom de Chamfort. Mocky a notamment besoin d’une musique romantique sur laquelle Chamfort imagine très bien la voix de Viktor. Sur des paroles de Boris Bergman, Chamfort va lui offrir Backdoor Man, qui deviendra ainsi son premier 45 tours début 1984. « C’était le 6 janvier 1984. En deux semaines, la chanson était en boîte. Elle a eu beaucoup d’ampleur en Belgique, et c’est ce qui m’a décidé à faire carrière. », dit-elle à l’époque. Chamfort l’invite dans la foulée à faire des chœurs sur son nouveau spectacle (qui passe à Lille, Bruxelles et à l’Olympia de Paris) durant lequel elle interprète également Backdoor Man. La chanson connaîtra un petit succès aux Pays-Bas.
Loser
A nouveau une composition de Pierre Roger sur un texte de Viktor Lazlo, Loser est l’une des chansons les plus enlevées de l’album. Adaptée en français par Boris Bergman sous le titre Blueser qu’on retrouve sur le mini-album Canoë rose, Loser sera extrait en single dans sa version album très légèrement raccourcie en Belgique en 1985, puis dans les pays germaniques l’année suivante dans une nouvelle version ré-enregistrée. Plus pêchue, cette nouvelle version très « live » au tempo plus rapide bénéficiera d’une version longue en maxi accompagnée d’une photo très sexy. Frissonnant dans les classements autrichiens en août 1986, Loser accompagne la tournée de la chanteuse en Allemagne, Autriche et Suisse en septembre.
Slow Motion
Enfin, pour fermer l’album, une chanson signée Piet van den Heuvel et Jan Verheyen, tous deux musiciens du groupe Scooter qui signèrent quelques succès entre 1981 et 1983 (You, Sand Out, Minute by Minute). Slow Motion est extrait en single en Allemagne dans une version écourtée d’une trentaine de secondes et légèrement remixée (moins de synthé et une prise vocale différente par moments) par rapport à la version album (qui est la même que la version longue présente sur le maxi).
Forte de ce premier succès européen, Viktor Lazlo lancera son deuxième album en 1987, au moment où elle est invitée à présenter le concours Eurovision qui se tient cette année-là en Belgique…
A reblogué ceci sur Musics and Souls.
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Le titre Mata Hari à etait repris étrangement par le groupe culte Télex… Groupe belge sous estimé
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Je ne connaissais pas cette version, merci de l’info ! Par contre il semble que ce soit le contraire, la version Telex serait l’originale et daterait de 1982 !
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