Christophe est un musicien qui tient à sa liberté artistique et plutôt peu enclin aux concessions, refusant d’enregistrer sous la contrainte quand l’inspiration n’est pas là. La musique est une véritable passion qu’on se doit de traiter avec respect et le chanteur n’a que faire des injonctions des maisons de disques qui lui réclament de nouveaux morceaux. C’est pourquoi les albums s’échelonnent à intervalles irréguliers, plutôt longs que courts, en ce début des années 80. En 1979 est ressortie la version originale d’Aline, son tube de 1965 initialement vendu à plus de 400 000 exemplaires, qui cartonne à nouveau et dépasse cette fois-ci le million ! Mais l’album Pas vu pas pris en 1980 est loin de connaître le même engouement et trois ans plus tard, c’est un 45 tours inédit qui fait son apparition chez les disquaires : Succès fou.
Le chanteur a installé un studio d’enregistrement dans son appartement afin d’être au plus proche de la création et il expérimente sur sa console 48 pistes, se réveillant au milieu de la nuit pour tester de nouvelles idées. Mais, perfectionniste, il lui arrive souvent de faire et de défaire, d’effacer et de reprendre ses enregistrements indéfiniment. Il y a une musique en particulier, déjà amorcée sur une guitare des années 50 qu’il déniche à Antibes, sur laquelle Christophe n’arrive pas à poser un texte et qui lui donne du fil à retordre. En désespoir de cause il s’adresse à son ami Boris Bergman mais le résultat ne lui convient pas. Puis, un jour qu’il rend visite à Michel Berger et France Gall dans leur maison de campagne, il se met à jouer sa composition qui plaît à Berger et lui inspire des paroles. Mais Christophe trouve que le texte du chanteur de La Groupie du pianiste est trop proche de son looser déjà évoqué dans Aline, ce qui va en fait lui donner l’idée de prendre le contre-pied du chanteur désespéré d’Aline et de s’imaginer cette fois en véritable tombeur. « Je rêvais que les jeunes qui écouteraient ce disque aient envie d’aller dans une boîte, dignement, avec une mentalité et une apparence physique de gagnants, plutôt que voûtés et perdants. Il y a une espèce de lassitude, un climat politique qui fait qu’on se sent plus ou moins mal dans sa peau et un peu perdant. Je n’aime pas cela. J’essaie toujours d’être un gagnant », dit-il à la presse de l’époque. « J’mettrai mes gants blancs, C’est mon style, différent, De tous les autres, Elle ça lui plaît… », entonne le chanteur de charme sur son nouveau 45 tours.
Le titre de la chanson lui vient alors qu’il passe devant la vitrine d’un couturier de la place Vendôme où est exposé un flacon de « Succès fou », un parfum de Schiaparelli lancé en 1952. Le texte enfin terminé, il finalise la chanson chez lui et se charge de la réalisation : « J’ai fait Succès fou avec des micros anciens que j’ai dénichés à Montreuil en faisant des essais de saxo dans mes chiottes. J’adore l’ambiance un peu primaire de ce titre, avec un sax comme dans les vieux Ray Charles et un texte écrit en une nuit dans ma chambre », dit-il à Libération. Le mixage sera quant à lui confié à René Ameline au Studio Ferber dans le 20e arrondissement.
Et, contre toute attente, cette jolie ballade au parfum rétro devient l’un des tubes du printemps 1983, s’arrachant à plus de 600 000 exemplaires. « Quand ce que j’ai fait plaît à un grand nombre, c’est plus qu’une récompense. C’est une espèce de communion un peu mystique. » Une communion qui, avouera-t-il bien des années plus tard, lui aurait rapporté pas loin de 850 000 euros ! Une compensation pour les bides accumulés précédemment précisera-t-il.
Mais au lieu de donner l’impulsion à un nouvel album, c’est une compilation qui voir le jour la même année, intitulée Les Succès fous d’un chanteur fou, quasi simultanément à la sortie d’un disque de reprises, Clichés d’amour. Neuf adaptations en français de grands standards (Besame mucho, Cry Me a River, As Time Goes By…), c’est un LP classieux sur lequel Christophe se la joue crooner, accompagné d’un orchestre et de la crème des musiciens de jazz, mais qui ne convaincra pas autant que son dernier tube.
En 1989, une compilation intitulée Succès fou reprendra à l’identique la pochette du 45 tours éponyme et se classera 8e du Top compilations et en 2019 c’est sur l’album Christophe Etc. que le chanteur redonne vie à son tube avec le duo hip-hop Nusky & Vaati.