Les années 80 sont une vraie libération pour Catherine Lara. Après une décennie faite d’expérimentations folk, rock psyché, pop baroque, funk… la violoniste chanteuse, premier prix de Conservatoire et meneuse d’un orchestre de chambre, qui a suffisamment posé les jalons d’une carrière éclectique à souhait, se trouve un peu à l’étroit dans son costume de musicienne intello qui la met mal à l’aise. La rencontre et la collaboration avec des musiciens américains sur l’album Coup d’feel, enregistré au Canada en 1979, sont les éléments déclencheurs de la « deuxième » carrière de Lara, les premiers frissons de la frénésie rock dans laquelle elle va se jeter à corps perdu dès le début des années 80. Coup d’feel, ce sera aussi sa meilleure vente des années 70 (le seul album à dépasser les 75 000 exemplaires), histoire de conforter ce changement inéluctable qui la mène à la rencontre d’un nouveau public. « … Quand tu débarques dans la chanson, c’est presque un handicap de dire que tu as 20 ans de musique classique derrière toi. Tu imagines le Conservatoire de Paris, les prix et tout le machin… cette espèce d’auréole de culture de la musique. C’était carrément une tare que je me suis trimballée pendant des années. » (Chanson magazine, 1983)
Désormais épaulée par un nouveau label (elle passe de chez CBS à Trema en 1981), Catherine Lara se rêve en chanteuse de variété rock, de « rockmantique » comme elle aime à le revendiquer, et frappe fort avec Johan en 1981 qui connait un joli succès. Suffisant pour la faire se produire devant un public de plus en plus nombreux, dans des tournées de plus en plus longues, pendant lesquelles elle prend conscience du plaisir qu’elle a à jouer pour des admirateurs de plus en plus réceptifs. Le « live », c’est ce qui la motive, ainsi que la joie euphorisante de pouvoir communiquer avec le public qui devient un réel besoin. Les albums s’enchaînent donc à une allure effrénée au début de ces années 80. Voyant qu’elle plaît, Lara se sent galvanisée d’une énergie créatrice et sort deux disques à quelques mois d’intervalle en cette année 1983. Il est vrai qu’elle avait dû calmer un peu le jeu pendant plusieurs mois suite à l’échec du projet Revue et corrigée, comédie musicale donnée au Casino de Paris qu’elle portait avec Annie Girardot et Bob Decout (avec la participation d’une toute jeune et alors inconnue Jakie Quartz), qui l’avait contrainte au repos suite à quelques ennuis de santé.
Dévoilé début 1983, le tout simplement baptisé Catherine Lara (et surnommé T’es pas drôle), est un disque qu’elle qualifiera de « triste », certaines chansons répondant à l’actualité du moment : le suicide de Patrick Dewaere lui inspire T’es pas drôle, et l’attentat de la rue des Rosiers Foutons-nous la paix. L’accueil commercial est timide mais lui permet tout de même de se produire à l’Olympia pour un soir, de jouer au Printemps de Bourges puis à Antibes en juillet. C’est dans cet état d’esprit qu’elle va se lancer spontanément dans la création d’un nouvel opus : « J’avais envie de l’enregistrer un peu comme un live. On venait de faire une série de concerts et je m’y étais tellement éclatée que j’ai eu besoin de restituer cette ambiance bien speed. » (Rock, 1984)
A l’origine de ce onzième album solo, une rencontre, celle d’une toute jeune autrice belge, Elisabeth Anaïs : « (…) elle a sonné chez moi et m’a dit : »Voilà, j’ai des textes à vous présenter ». Elle m’a fait lire Fatale. Et puis j’ai dit : »Dis donc, il se passe quelque chose là ! ». Instinctivement, immédiatement au moment où je lisais les textes qu’elle m’apportait, j’avais déjà envie de faire une musique dessus. C’était musical. » (Chansons d’aujourd’hui, Québec, 1984) A 23 ans, Elisabeth Anaïs a déjà écrit un album pour son compatriote belge Pierre Rapsat en 1979 mais est encore inconnue en France. Elle se présente donc à Catherine Lara avec des textes écrits sur-mesure, parmi lesquels Famélique et Fatale. Celle qui ne chantait jusqu’à présent que des textes signés par des hommes (Daniel Boublil, Boris Bergman, Alain Lacaux, Luc Plamondon, Etienne Roda-Gil, Pierre Grosz…) est immédiatement conquise par cette écriture qui reflète « une pensée presque masculine. Des textes très forts, empreints d’une grande sensibilité et qui savent jouer avec les mots tout en ayant l’air de rien, un peu comme ceux de Nougaro. En plus, elle m’a vraiment bien comprise. » (Rock, 1984) Si bien que Catherine se met à la composition immédiatement, parfois quelques minutes après la lecture d’un texte. Elle démarre son travail de composition le 2 août, signant toutes les musiques, sauf celle de Gatsby que l’on doit à Claude Engel et celle de La Rockeuse de diamants qu’il co-signe avec elle. Le 20 août, elle est au studio du Palais des Congrès pour démarrer la production du nouveau disque entourée notamment de Michel Cœuriot avec qui elle signe les arrangements. Tout comme le travail d’écriture, l’enregistrement se fait en un temps record. Dans cette ambiance qu’elle a voulue très proche du live, la première prise est très souvent la bonne.
Et le résultat donne en effet l’impression d’un disque très spontané, bref (seulement huit titres), enregistré avec une certaine frénésie et qui mêle un rock parfois un peu âpre à des envolées mélodiques, une touche de funk et de sensualité, un certain sens du dramatique… On y voit par ailleurs une certaine parenté avec les premiers albums de Buzy à la même époque, ou bien encore avec ceux de Diane Dufresne. Famélique, le morceau qui ouvre l’album, est tel un cri de femme assoiffée d’amour, une sensualité dévorante, l’attraction magnétique de l’autre, du public : « vous serrer, vous caresser, vous griffer, vous dévorer, vous m’attirez, maléfique ». Un besoin d’amour qu’on retrouve dans Les Genoux écorchés (« Besoin de quelqu’un qui sache où j’ai mal »), un texte qui ramène aussi la chanteuse à l’enfance : « J’aime le monde de l’enfance parce que je m’y suis accrochée comme on s’accroche à une espèce de pureté quelque part. » (La Semaine, Québec, 1984)
Toujours ce besoin d’amour et de reconnaissance dans Fatale, un texte tragi-comique dans lequel la chanteuse se rêve en vamp glamour (« J’aurais voulu être de ces femmes pour lesquelles tout le monde s’enflamme »), loin de sa réalité plus clownesque (« J’me prends les pieds dans les tapis, j’voulais le regard de Garbo, j’ai pris la démarche de Charlot »). D’autres textes semblent un peu moins personnels comme le slow éthéré et mystérieux Gatsby, personnage de Fitzgerald dont elle dira : « C’est un personnage que j’aime. J’ai toujours dit que mon propos n’était pas politique mais poétique. C’est important pour moi de faire rêver. De créer des univers de rêves. J’aime de plus en plus les atmosphères imagées. » (Chansons d’aujourd’hui, Québec, 1984) Après Geronimo en 1980, elle évoque le mal être de L’Homme blanc et les fêtes orgiaques dans le plus psychédélique Bacchanales.
Le funky Autonome, autre chanson marquante du disque, est le seul texte que ne signe pas Elisabeth Anaïs. A la place on trouve l’ami Luc Plamondon qui pousse la chanteuse à s’affirmer telle qu’elle est : « Longtemps j’ai pensé ce que pensaient les autres, longtemps j’ai vécu comme si j’étais une autre, jusqu’au jour où autonome, autonome, libre d’aimer une femme ou un homme ». Difficile de faire plus explicite. Mais, curieusement, la presse française de l’époque semble avoir préféré laisser planer un voile de pudeur sur cette confession, contrairement aux journaux canadiens qui questionnent ouvertement Lara sur sa sexualité : « Je suis une femme très amoureuse, très passionnée. Je vis ma sexualité librement. (…) Je me sens complètement, non pas appartenant aux hétéros ni aux homos, mais à la sexualité tout court. Je suis complètement disponible pour recevoir quelqu’un. Quand je désire quelqu’un, je désire un cœur avant tout, quelqu’un qui me branche. » (La Semaine) Un tournant dans la carrière de la chanteuse, même si elle chantait déjà dans Sensuelle en 1976 : « Sensuelle se glisse, au fond de mon lit »…
Et puis il y a bien évidemment le tube, l’intrus de l’album, celui qu’on n’attendait pas mais qui donne tout de même son titre au disque : La Rockeuse de diamant. La chanson est en effet le morceau le plus direct et évident de l’album, celui sur lequel on a envie de bouger ainsi que de reprendre le refrain à tue-tête. Pourtant, et comme c’est parfois le cas avec les succès, ce dernier est arrivé par hasard, à la guitare avec Claude Engel, écrit en quelques minutes. Une cocasserie imaginée à partir d’un texte de Raymond Queneau écrit pour Zizi Jeanmaire, La Croqueuse de diamants. « Alors comme je suis fanatique des jeux de mots, »la rockeuse de diamants » ça m’a fait vraiment marrer. J’ai vraiment fait ça à la rigolade. Ce n’est pas un truc au sérieux ! » (Chansons d’aujourd’hui) Evidemment la maison de disques saute sur l’occasion et, si l’album est dans les bacs en novembre 1983, il faut attendre début 1984 pour que Trema édite en 45t La Rockeuse de diamants (avec Les Genoux écorchés en face B), la chanson qui va promouvoir et faire vendre l’album. Car la chanson est évidemment un succès, tel que Catherine Lara n’en a encore jamais connu. Un peu surprise, elle dira plus tard que ce n’était pourtant pas la plus intéressante du disque mais confiera dans son autobiographie Entre émoi et moi en 2011 : « J’ai compris, depuis, pourquoi La Rockeuse de diamants avait si bien marché en 1984. Pour une fois, je m’étais laissé entraîner par ma nature et non par ma culture, mon exigence, et mon goût des accords sophistiqués. J’avais osé faire passer mon instinct avant mes compétences. » Une chanson qui va lui coller à la peau et pour laquelle un clip est tourné, reprenant l’ambiance frivole et amusante du texte.
En grand absent du disque (ou du moins très peu présent), le fidèle violon de Catherine trônera pourtant fièrement sur la pochette, exposé telle une œuvre d’art (mais remisé au musée), objet précieux ou talisman.
Lara enchaîne sur un passage à l’Olympia du 6 au 11 mars suivi de quelques dates en province. Elle chante un peu plus de la moitié des chansons du dernier disque et en profite pour sortir son premier album live En concert. Famélique (couplé à Fatale) fait office de deuxième single mais ne réitère pas l’engouement de La Rockeuse de diamants dont il s’éloigne sans doute trop. La même année, elle publie déjà un nouvel LP, Flamenrock, qui la mène tout droit au Zénith de Paris du 6 au 11 février où c’est la consécration… Elisabeth Anaïs est toujours de la partie, et signera même chez Trema où elle sort le 45t Intimité, composé, arrangé et produit par Claude Engel.
Une belle découverte, merci beaucoup !
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