En 1976, avec un bac en poche, Agathe Labernia s’inscrit aux Beaux-Arts de Montpellier où elle a tout loisir de développer sa passion pour les images et la vidéo. Une fois diplômée en tant que vidéaste, elle participe à de nombreux festivals internationaux où elle présente son court-métrage Agathe Murder en 1983. Parallèlement, avec ses copains musiciens Jacques Lyprendi, Gabriel Le Corre, Gilles Ganidel et Frédéric Schlesinger, elle monte un groupe qui s’oriente vers la synthpop et qu’ils vont baptiser Regrets, sur proposition de Schlesinger.
Très vite, Regrets se fait repérer et L’Écho des bananes sur FR3 diffuse en mars 1983 des extraits de trois morceaux de Regrets interprétés en concert, parmi lesquels on entend déjà Je ne veux pas rentrer chez moi seule. Un texte écrit « au fond d’un taxi new-yorkais, en quelques minutes, un soir de grande solitude », se rappelait Agathe en 2016 dans les colonnes de Midi Libre. Des paroles en effet plutôt sombres (la jeune femme esseulée de la chanson finit par envisager d’occire un joli garçon afin de pouvoir en disposer à loisir au fond de son lit) sur une musique synthétique à la guitare funky. A l’écoute, on pense à un autre morceau, le disco-funk She Can’t Love You de 1982 (petit succès en France début 1983) du duo américain Chemise, qu’on entendait d’ailleurs à la fin du court-métrage d’Agathe et sur lequel elle fredonnait déjà les paroles de Je ne veux pas rentrer chez moi seule. Agathe s’imagine un personnage de gentille ingénue, dont l’une des influences est la Lio de Banana split qui l’amuse beaucoup, afin de pouvoir faire passer des messages parfois graves et sérieux sans jamais en avoir l’air.
C’est le producteur Jean-Louis Fournols qui va donner sa chance à Regrets à qui il fait signer un contrat de cinq ans comprenant la sortie de cinq 45 tours et d’un 33 tours. Le choix du premier single se porte naturellement sur Je ne veux pas rentrer chez moi seule et Fournols décide de mettre le paquet sur la chanson et d’en confier la réalisation à David Richards (ingénieur du son des Rolling Stones, de David Bowie, de Queen, de Chris Rea… entre autres références prestigieuses) dans ses studios de Montreux.
Je ne veux pas rentrer chez moi seule sort chez Phillips en 1983 avec une version club en face B du 45 tours, une version longue et son instrumental en maxi. Assez rapidement, la chanson se taille une bonne place sur les ondes et se classe dans les vingt meilleures diffusions en discothèques entre fin 1983 et début 1984. Au Québec, la chanson s’affiche également dans les palmarès en mars 1984. Une version anglaise sera même enregistrée mais jamais utilisée car, pour l’international, les diffuseurs ont une nette préférence pour le charme singulier de la version française. Si l’on s’accorde aujourd’hui à dire que Je ne veux pas rentrer chez moi seule est un titre emblématique des 80’s, le succès commercial à l’époque n’est pourtant pas si impressionnant (le disque dépasse seulement les 100 000 ventes). La chanson traversera pourtant les décennies.
Cet engouement qu’Agathe n’espérait pas, permet à Regrets d’enregistrer un deuxième single, Tout le monde s’amuse, qui lui aussi se fait remarquer en 1984. Pourtant, dans les coulisses, tout se complique déjà et les conflits d’égos entre le producteur et les musiciens mettent en péril la survie du groupe. Après une participation au texte du 45 tours de Bianca, La Fourmi, à la demande de son ami Thierry Felter, Agathe sort encore un simple avec Regrets en 1985 (C’est normal) avant de poursuive l’aventure seule.
Si l’auteure-compositrice-interprète a conscience depuis le départ que le show business n’est pas un univers facile, elle a en tête de partir à New York car elle a obtenu une bourse du Ministère de la Culture pour étudier la vidéo à l’université. Repoussant l’échéance d’année en année, la jeune femme se rend vite compte qu’il ne lui est pas possible de conjuguer les deux activités ; elle choisit d’honorer les cinq ans de son contrat et renonce à sa bourse.
En attendant, elle exprime sa créativité en réalisant la pochette de Tout le monde s’amuse et le clip de C’est normal et assure la promotion du premier album seule, album sur lequel son nom s’affiche au même titre que celui de Regrets. En 1986 et 1987, elle sortira deux singles en son propre nom (Marie-moi et Bébé bébé), mettant ainsi un terme au contrat qui la lie à son producteur. Une page se tourne, et Agathe retourne immédiatement à ses premières amours, la vidéo, un domaine dans lequel elle peut s’exprimer totalement, en tout cas plus qu’en mimant ses chansons sur les plateaux de télévision. Elle aura la chance de rebondir tout de suite puisqu’on lui propose de concevoir les images et de présenter l’émission Avance sur image sur Canal + en 1988.
En 2001, on redécouvre Regrets grâce à une réédition CD et en 2010 L’intégrale 1983-2010 est proposé ainsi qu’un best of dans la collection Référence 80 l’année suivante. En 2016, Agathe remonte sur scène aux Trois baudets à Paris dans le cadre d’une soirée musicale dédiée à l’année 1983.