
Vince Clarke est loin d’être un inconnu lorsqu’il forme le duo Erasure en 1985. Le musicien, auteur et compositeur anglais est à l’origine de Depeche Mode dont il signe la quasi-totalité du premier album et notamment le hit Just Can’t Get Enough en 1981. Mais la collaboration s’effrite aussi rapidement qu’arrive le succès et Clarke se désiste, avant de former le duo Yazoo avec la chanteuse Alison Moyet qui lui permet de retrouver le sommet des classements avec les tubes Only You, Don’t Go et Nobody’s Diary entre 1982 et 1983. Mais les groupes se font et se défont et, en 1983, Vince Clark et Eric Radcliffe (qui travaillait déjà sur Yazoo) lancent le tube Never Never publié sous le nom de The Assembly. Un album avec des vocalistes différents pour chaque morceau doit suivre mais fautes de collaborateurs intéressés ou disponibles, le projet tombe à l’eau.
Dans l’idée de prendre un nouveau départ, Clarke passe une annonce afin de recruter un chanteur. Une véritable aubaine pour le jeune et inconnu Andy Bell qui avait justement l’intention d’envoyer sa candidature à Vince : « Quand j’ai rencontré Vince, je faisais partie d’un groupe appelé The Void et je vendais des chaussures pour femmes à Debenhams. (…) Mais ce qui est étrange, c’est qu’à la suite de la séparation de Yazoo, j’avais pensé envoyer une lettre à Vince pour lui proposer mes services. On écoutait le premier album solo d’Alison et mon ami m’a dit : « Ce sera toi d’ici un an » – et puis j’ai rencontré Vince », se souvient-il pour The Guardian en 2014. Sur une quarantaine de chanteurs auditionnés, Vince retient Andy, séduit par sa voix, peut-être parce qu’elle partage des similitudes avec celle d’Alison Moyet, ce dont il dit ne pas s’être aperçu à l’époque mais que les journaux ne cesseront de mettre en avant. « La voix d’Andy est l’élément qui apporte de l’âme à ma musique », déclarera Vince.
Au moment où il commence à travailler avec Andy, Vince a déjà écrit la moitié du premier album du duo en devenir. Andy est très jeune (seulement 21 ans, Vince en a 25) et impressionné par son nouveau collaborateur et s’en tient à ses vocalises sans immédiatement oser des propositions. Mais l’association de ces deux personnalités aux caractères différents, Andy se décrit comme « l’éternel optimiste » en opposition à Vince, « l’éternel pessimiste », va pourtant s’acheminer vers la symbiose. Ils apprennent lentement mais sûrement à se connaître, et commencent à bien s’entendre en studio, travaillant des mélodies au piano. Le premier single d’Erasure, Who Needs Love Like That, entre synthpop et new wave, est un succès très relatif, avec une 55e position dans les charts britanniques en 1985. Le suivant, Heavenly Action, est un échec cuisant qui s’échoue à la 100e place. « Je pensais qu’on allait décoller tout de suite, commente Andy au Los Angeles Times en 1986, j’avais un peu peur au début bien sûr mais j’étais aussi très confiant. Confiance qui a fini par s’estomper quand on a commencé à récolter toutes ces critiques ». Outre la comparaison avec Alison Moyet, Andy est victime d’une homophobie latente, lui qui ne cache pas sa sexualité et se fait parfois copieusement insulter lorsqu’il est sur scène. Car Erasure passe très peu en radio et se voit donc contraint, pour se faire connaître, d’accepter des contrats dans des clubs ou des universités où ils ne sont pas toujours bien reçus.
Le 21 avril 1986 est commercialisé Oh l’amour, le troisième single d’Erasure censé lancer l’album Wonderland un mois plus tard. Une chanson dont l’enregistrement s’avèrera ardu pour Andy comme il l’explique au Guardian : « En studio, j’étais tellement épris de Vince que je ne cessais de le fixer. C’était mon héros. Je n’arrivais pas à croire que j’étais là et j’étais tout le temps à bout de souffle, surtout sur Oh l’amour ». « J’étais très admiratif de son travail et c’était très intimidant de travailler avec lui au début. J’ai perdu toute confiance en moi et je suis redevenu un choriste à l’école, avoue le chanteur à The Quietus en 2015. Et puis j’ai amené ces mots, « Oh l’amour », et il m’a donné 50% des droits d’auteurs, il était très généreux. Je pensais que j’allais être viré après le premier album mais il m’a soutenu ». Réalisé par Flood (alias Mark Ellis, qui a déjà travaillé avec New Order, Nick Cave et Depeche Mode), la chanson à la composition dansante et enjouée est accompagnée d’un texte qui, a contrario, raconte une peine de cœur. Mais Andy en livre une interprétation toute personnelle, qu’il qualifie « d’humour gay » à Gay Life Magazine en 1986, inspirée du film Femmes de George Cukor et de ce côté très théâtral et vachard de la haute société : « À chaque fois qu’elles veulent divorcer elles prennent le train pour Reno. Et il y a cette femme qui est dans le train à chaque trajet et qui lance cette réplique : « Oh l’amour, l’amour, toujours l’amour ! ».
Avec l’inédit March On Down the Line en face B, Oh l’amour paraît en 45 tours dans une version mixée différemment de celle qui sera incluse sur Wonderland quelques semaines plus tard (l’édition américaine de l’album utilise un troisième mix encore différent). Un premier maxi est lancé avec un remix de Michael Johnson ainsi qu’une reprise du Gimme! Gimme! Gimme! d’ABBA, mais à nouveau le single est un échec au Royaume-Uni avec une décevante 85e place dans les classements. Le single est rapidement relancé avec une nouvelle pochette car les illustrations utilisées pour la première avaient été utilisées sans l’accord de leur auteur. Un nouveau maxi est édité avec un remix signé cette fois des rois de la Hi-NRG, Phil Harding et Pete Waterman pour PWL, mais qui n’éveille pas plus l’intérêt du public anglais. Le succès, il faudra aller le trouver en Europe continentale où Oh l’amour connaît un accueil beaucoup plus chaleureux. Outre une 16e place en Allemagne (où une version interprétée en allemand par une chanteuse locale est incluse au maxi !), le single est un tube de discothèques en France et décroche une belle 14e place au Top 50 début octobre avec plus de 150 000 ventes !
Cette indifférence de ses compatriotes britanniques, Vince Clarke l’explique en partie par le fait qu’Andy et lui ne se connaissaient pas encore suffisamment à l’époque du premier album et qu’ils n’avaient pas de messages particuliers à faire passer dans leurs textes, ce qui évoluera par la suite puisque Andy prendra de plus en plus part à l’écriture, au grand soulagement de Vince. Après l’échec de l’album Wonderland, Sometimes (single qui préfigure le deuxième 33 tours) est enfin un tube avec une deuxième place obtenue au Royaume-Uni. En France, il signera la fin de la carrière d’Erasure au Top 50 avec une 39e place, alors que le duo signe entre 1988 et 1994 quatre albums tous n°1 chez les Anglais et reste aujourd’hui encore actif.
Incontournable du répertoire d’Erasure, Oh l’amour tient une place à part dans le cœur des admirateurs du groupe. Curieusement, la chanson deviendra un tube l’année suivante en Angleterre grâce à la reprise du groupe Dollar. Remixé en 2003 à l’occasion de la compilation Hits! The Very Best of Erasure, Oh l’amour ressort en single et grimpe à la 13e place des charts anglais.
Merci pour cette chronique !
Il est bien regrettable qu’ERASURE soit aussi injustement méconnu en France, où on les réduit à cette seule chanson…
Une poignée d’irréductibles résiste néanmoins sur Facebook : « ERASURE – Les Fans Francophones » : https://www.facebook.com/groups/262807307863
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