Interview – Debbie Davis : l’histoire de sa vie

C’est à tout juste vingt ans que Debbie Davis quitte les États-Unis pour l’Europe suite à un coup de fil de son amie Joniece Jamison. Très vite, elle se retrouve embarquée comme choriste sur les tournées de Sylvie Vartan avant de signer deux tubes de suite sous la houlette de François Valéry (J’aime l’amour avec toi en 1984 puis Émotion en 1985 qui se vendent tous deux à plus de 200 000 exemplaires*). Durant les années 80 et 90 elle va accompagner sur disque et sur scène la plupart de nos artistes français (de Michel Sardou à Johnny Hallyday, de Mylène Farmer à Maurane) avant de décrocher un nouveau tube grâce à Disney qui lui propose d’interpréter la chanson d’ouverture du Roi lion en 1994, L’Histoire de la vie (7e au Top singles, l’album sera n°1) puis Hakuna Matata en duo avec Angélique Kidjo (7e au Top singles également). Debbie Davis revient pour nous sur sa carrière pavée de rencontres et de moments inoubliables.

Je crois que vous avez toujours chanté, depuis toute petite. Aviez-vous des musiciens dans la famille ?

J’ai toujours entendu de la musique à la maison. Ma mère m’a dit que je chantais même avant de parler. Mes parents adoraient le classique, le rock’n’roll… J’étais entourée de musique dès mon enfance. Il y avait toujours un vinyle qui jouait dans les maisons qu’on a habitées, car on bougeait beaucoup. La mère de mon père chantait de l’opéra, pas professionnellement mais dans les églises par exemple, mais je ne l’ai pas tellement connue.  

Avez-vous suivi une formation musicale ? 

Je suis allée dans une école catholique où on apprenait la messe en latin, on chantait en latin et j’adorais ça donc j’ai toujours eu cette envie d’apprendre la musique. J’ai habité à Philadelphie et puis ensuite à Whashington où il y avait une école comme dans le film Fame où on étudie la musique, le théâtre, la danse, et j’ai eu la chance d’être sélectionnée après audition pour pouvoir l’intégrer. J’ai appris l’histoire de la musique et le chant. Je suis allée ensuite à l’université de Princeton pour poursuivre ces études musicales, j’avais l’intention d’être prof de musique mais en me concentrant sur la voix. C’était le Westminster Choir College qui est connu pour ses chorales qui sont souvent invitées sur les enregistrements de musique classique. J’ai eu des expériences extraordinaires même avant d’arriver en France. Avec le Duke Ellington School of the Arts, dont beaucoup de vedettes de télé, de politiciens sont sortis, j’ai eu l’occasion d’aller à New York, de voir des shows à Broadway, d’aller au MET et de chanter avec Leonard Bernstein la neuvième symphonie de Beethoven… 

Pour quelle raison arrivez-vous en France à la fin des années 70 ?

J’étais à l’université de Westminster quand j’ai reçu un coup de fil de ma copine Joniece Jamison. Elle était en Suisse avec son groupe de musiciens qui venaient de l’université de Howard, qui a aussi un grand département musique. Avec son groupe elle faisait donc des galas dans des clubs en Suisse et une des filles ne pouvait pas continuer la tournée donc elle m’a appelée pour que je vienne la remplacer deux jours après ! C’était juste avant Noël. Ils étaient coincés parce qu’ils avaient des concerts prévus pour le nouvel an et moi j’étais en break puisque c’était les fêtes. Elle m’a demandé de venir, sa mère a demandé à la mienne si c’était possible, et ça tombait bien parce que je n’en pouvais plus de l’université, j’avais vingt ans et j’ai saisi l’opportunité ! C’était en 1979. Et pendant une soirée dans un club en Suisse, il y avait l’agent de Sylvie Vartan qui était là. On était trois filles noires américaines à chanter du Donna Summer, des musiques de club, et l’agent nous a demandé de venir rejoindre Sylvie qui avait besoin de choristes pour son spectacle. Il faut dire qu’on était prêtes parce que ça faisait six mois qu’on faisait des concerts dans des endroits vraiment pas possibles, on n’avait pas un sou et on était sur le point de rentrer aux États-Unis. Il nous avait vues en Suisse où il a pris contact avec notre groupe qui ne nous a rien dit à ce moment-là pour ne pas nous perdre, parce que sans les trois filles ce groupe n’était pas grand-chose. On était en Norvège en plein hiver où on ne voyait jamais le soleil, on chantait cinq ou six heures d’affilée, c’était l’horreur, quand ils nous ont finalement dit qu’on avait cette opportunité d’aller chanter avec Sylvie Vartan. Eux savaient qui c’était mais nous pas du tout. Ils nous ont dit qu’on pouvait partir mais sans nous payer. On a pris un bateau et une fois arrivées on nous a hébergées dans la maison de Joe Dassin ! Sylvie ne savait pas qu’on était déjà en France, il n’y avait pas d’hôtel à notre arrivée, et comme le manager de Sylvie était aussi un ami de Joe il nous a mises dans sa maison pendant une semaine je crois, on ne savait même pas que c’était une grande vedette de la chanson ! On a été bien reçues, ensuite on a été à l’hôtel, on a commencé les répétitions et voilà le début de l’histoire ! Ce sont de merveilleux souvenirs, c’est là où j’ai fêté mes 21 ans, je me suis retrouvée chez un ami de Joe Dassin qui tenait le château de Thoiry, j’ai vécu le meilleur anniversaire de ma vie parce que c’était magique de me retrouver à Paris chez un Américain et de découvrir Paris avec Sylvie Vartan. Elle était belle, elle avait plein d’énergie. En plus ses spectacles étaient à l’américaine, c’est d’ailleurs pour ça qu’on avait été prises. Il y avait des danseurs, des lumières, des moyens, c’était d’un grand niveau. On a pris des cours de danse avec un chorégraphe américain très connu, tous les danseurs étaient de Los Angeles ou de Londres. On a appris les chansons phonétiquement et on ne savait pas ce qu’on chantait (rires). 

Vous ne parliez pas du tout français ? 

Pas un mot ! Moi peut-être un peu parce qu’avec mes études dans la musique classique j’étais obligée d’apprendre des arias en français donc j’avais peut-être une petite oreille pour les langues. C’était drôle parce que les premiers mois où on a tourné avec Sylvie on ne comprenait pas un seul mot de ce qu’elle chantait. Mais beaucoup de ses chansons étaient des covers de chansons connues aux États-Unis et avec les chorégraphies et les costumes on comprenait un peu de quoi il s’agissait. Je me souviens d’un jour où j’étais sur scène avec elle, on chantait L’amour c’est comme une cigarette, et j’ai eu un déclic dans ma tête en me demandant ce que j’étais en train de chanter parce que je commençais justement à comprendre ! C’était magique et on adorait Sylvie, elle était tout pour nous. À l’époque elle était toujours avec Johnny mais c’était la fin. Je me souviens d’elle en plein divorce, elle venait aux répétitions en tenue Chanel, on savait qu’elle allait voir le juge et je me suis dit : « Mais cette femme est vraiment fabuleuse ! » On la voyait en tenue de danse pour les répétitions et puis ensuite en Chanel, toute belle, pour aller divorcer de l’homme le plus connu en France ! C’était vraiment grand, des grands moments. Mes meilleurs souvenirs de la France c’est ceux avec Vartan. Elle nous a fait voyager partout dans le monde, au Japon, dans les pays francophones… 

Et puis Vegas… 

Oh là là Vegas ! Elle était avec Tony Scotti à l’époque de Vegas qui avait mis ce billboard sur Sunset Boulevard. Comme il était producteur à Hollywood il connaissait tout le monde et il avait des invités VIP pour ce spectacle et un des invités était Gene Kelly. On était tous dans le même hôtel MGM, moi et Joniece on partageait la même chambre et un soir on entend frapper à la porte, je vais ouvrir et là je vois Gene Kelly ! « Excusez-moi mais le téléphone ne marche pas dans ma chambre, est-ce que je peux utiliser le vôtre ? » (rires) Joniece et moi, bouche bée, on ne pouvait rien dire, on était là comme des folles. C’était un grand moment. Aussi parce que nos familles sont venues nous voir. Je dois tout à Sylvie parce que c’est avec elle qu’on s’est imprégnées de la culture française, elle nous a fait entrer dans ce monde fantasmé et c’était vraiment fabuleux. 

Vous la retrouverez en 1994 pour l’album Sessions acoustiques… 

J’ai fait beaucoup, beaucoup, de séances de studio, j’ai fait les chœurs pour presque tout le monde, donc je ne me souviens pas de tout mais je me souviens que c’était bien de la retrouver parce que je l’adore. 

Je crois que votre premier 45 tours est un duo avec Guy Bonnardot en 1983, La Plus Grande Bêtise de ma vie, une adaptation d’un morceau de Rod Temperton (Baby, Come to Me par Patti Austin et James Ingram) ?

J’adore cette chanson. C’était la production d’un monsieur de NRJ qui a eu les droits de cette chanson parce qu’il était souvent à Los Angeles et qu’il connaissait tout le monde, tout comme d’ailleurs Jackie Lombard qui est toujours promoteur de grands spectacles, et c’est eux qui m’ont invitée à faire ce duo avec Guy Bonnardot. Mais ça n’était pas le premier disque que j’ai fait, on a enregistré Joniece et moi avec les musiciens de Sylvie Vartan. Les musiciens français étaient tellement contents de travailler avec des chanteuses américaines qu’ils ont fait un groupe à eux et on y a participé, on a fait quelques concerts. Mais pour revenir à Guy Bonnardot je l’aimais beaucoup, il était tellement gentil, c’était vraiment un honneur de pouvoir chanter cette chanson dont j’avais adoré l’originale. On n’a pas mis longtemps à faire ce disque mais je me souviens très bien de ces moments très agréables.

Comment faites-vous la rencontre de François Valéry avec qui vous allez avoir une longue collaboration ? Vous allez travailler régulièrement sur des bandes originales de films et notamment sur Joy dont vous interprétez le thème principal qui sort en 45 tours.

C’est encore une connexion. Quand on est arrivées, Joniece, Jeannett et moi, tout le monde a su qu’il y avait des chanteuses américaines à Paris. C’était l’époque disco et on a tout de suite été très prises pour des séances de chœurs. On a commencé à connaître tout le monde très vite dans le métier. J’ai reçu un coup de fil d’Anne Calvert qui m’a dit que François Valéry cherchait une interprète pour une musique de film, qu’elle n’était pas disponible mais que je pouvais aller aux auditions à sa place. J’y suis allée et il m’a dit : « C’est vous » ! Vraiment ça a été très vite et je crois que le premier disque était Joy. Au départ sur le premier pressage il n’y avait pas ma photo, juste mon nom je crois, mais il a tellement bien marché ce disque, un peu partout, au Japon… la mélodie a plu. Comme ça démarrait bien, François Valéry a décidé de changer la pochette en mettant mon nom et ma photo. Je n’avais à l’époque pas signé de contrat mais suite à ce succès il m’a proposé de continuer ensemble et de me produire un disque. Je devais avoir 22 ans. Je me suis retrouvée artiste chez Warner sous la production de François Valéry et ça a commencé comme ça. Le deuxième disque c’était J’aime l’amour avec toi

Ensuite sur la BO d’Un été d’enfer vous chantez quatre chansons dont J’aime l’amour avec toi qui sort en 45 tours et qui va connaître un joli succès tout comme Émotion qui sort ensuite et se classe au Top 50.

J’ai été connue avec J’aime l’amour avec toi mais le film est venu après. Les chansons d’Un été d’enfer ont été prises de mon album. Les deux chansons sont sorties en single et ont eu beaucoup de succès. On a sorti l’album après Émotion mais il est passé inaperçu. Il y avait en parallèle l’album de la bande originale du film qui lui a bien marché par contre, j’étais en concurrence avec moi-même (rires). C’est drôle non ? J’ai vendu plus de J’aime l’amour avec toi que d’Émotion mais le Top 50 n’existait pas encore. C’était beaucoup plus facile de vendre des disques à l’époque.

Sur votre album qui paraît en 1984 avec neuf chansons vous signez deux textes mais les autres sont signés Yvonnes Jones, pourquoi ? 

Yvonne Jones était une des choristes avec qui j’avais fait plein de séances et on a eu tellement peu de temps pour faire cet album que je n’ai pas pu faire tous les textes. Je savais qu’elle pouvait le faire plus vite que moi et je lui ai demandé de m’aider. C’est juste parce que je n’avais pas le temps. Mais elle a fait du bon travail et c’est toujours une bonne copine aujourd’hui. Je n’ai même pas eu le temps de penser que ça pouvait avoir du succès, j’ai pris ça comme un travail de choriste en fait. Pour moi c’était du travail et je n’imaginais pas que j’allais faire des télés avec ça.  

Vous écriviez déjà des chansons ou bien c’était la première fois ? 

Non moi je voulais chanter et donner des cours de musique. J’adorais être sur scène avec Sylvie, juste être dans ce monde qui me faisait rêver. J’aime donner à l’artiste avec qui je travaille, je n’avais pas en tête d’être au-devant. Mais j’ai été très contente de sortir une chanson que tout le monde aimait. C’était fait dans cet esprit-là.  

Et à vous elles plaisaient ces chansons-là ?

Ah oui j’ai beaucoup aimé les deux singles et une autre sur l’album que j’adore, Love is My Way. François Valéry est un bon mélodiste. 

Ensuite c’est Love on the Radio, extrait du film Les Nanas.  

Il y avait Juliette Binoche dans ce film, je crois que c’était un de ses premiers. Et à la même époque il y a eu aussi Line Renaud pour qui j’ai fait une chanson. François Valéry était beaucoup demandé pour des musiques de films et comme j’étais son artiste on travaillait ensemble là-dessus.  

Vous n’allez par la suite plus travailler avec François Valéry, pourquoi ? 

À l’époque quand on faisait de la pop il ne fallait pas trop qu’on dise qu’on allait se marier et moi je commençais à envisager une autre vie et pas cette vie d’artiste de pop française parce que ça n’avait jamais été mon but. François Valéry a eu la gentillesse de me rendre mon contrat pour que je puisse commencer à vivre ma vie personnelle. Je me suis mariée avec le chanteur et producteur de Licence IV, Francis Vacher, avec qui j’ai eu un enfant. Je l’ai connu parce qu’il avait travaillé avec Sylvie Vartan. Sylvie l’adorait, il faisait le son pour elle. François Valéry m’a dit que je ne pouvais pas faire les deux, la femme mariée et l’artiste de pop, et moi j’ai dit que je ne voulais pas être cette artiste-là, et au lieu de me faire un procès pour rupture de contrat il m’a laissé partir. J’étais contente que ça se termine sur un succès et pas parce que les disques ne se vendaient plus. C’était la fin.

Il y aura par la suite d’autres 45 tours extraits de films, de publicités, de séries (Mémoire Tabou, Secrets du Sahara avec Ennio Morricone, Remember)…

Heureusement que François Valéry m’a laissé faire ce que je voulais parce qu’un des plus grands moments de ma vie c’est cette mélodie d’Ennio Morricone. J’étais enceinte au moment de l’enregistrement, c’était une chanson très difficile à chanter, mon bébé bougeait et je crois que j’ai accouché une semaine après. Mémoire tabou c’était la publicité pour un café et le thème était tellement connu que les gens ont réclamé le disque alors la boîte de publicité a voulu le sortir. J’ai peut-être fait une télé avec, je ne sais plus. Le téléphone sonnait tout le temps à cette époque, j’ai eu la chance de travailler avec beaucoup d’artistes et de producteurs. J’ai voulu très vite apprendre le français pour pouvoir travailler en français. Il y a aussi eu un duo avec Jean-Pierre François. C’était une production d’Orlando. On a tourné une vidéo pendant deux jours en extérieur et en studio…  La chanson n’est pas très bonne mais la vidéo… un vrai bijou ! (rires)

En 1990 vous enregistrez les chœurs de Désenchantée de Mylène Farmer avec Carole Fredericks et Beckie Bell. Comment s’est déroulée la séance et pressentiez-vous que ça deviendrait un énorme tube ? 

Oui, oui, oui ! Déjà Mylène Farmer est d’un autre monde. Et je ne dis pas ça comme ça mais parce que j’avais déjà travaillé avec beaucoup d’artistes et je les voyais surtout comme des musiciens. Mais Mylène Farmer c’était autre chose, elle sait ce que c’est d’être sur scène, elle est entertainer, elle a ça, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, ce truc, elle monte sur scène et on s’en fout si elle chante mal ou si elle danse mal, elle est magique ! Et c’est la même chose quand elle rentre dans un studio, elle est extravertie et introvertie en même temps. Elle avait une grande équipe derrière elle, on était dans un des meilleurs studios de Paris, il y avait tous les moyens pour faire des choses, Carole et moi on était chères, pour nous avoir sur un album en tant que choristes il fallait payer ! C’était un genre de Madonna pour moi à l’époque. Il y avait beaucoup de manipulations sur les voix, ce qui veut dire que quand Mylène chante en studio elle n’envoie pas trop de fréquences, ce n’est pas sa faute c’est comme ça, alors quand on fait les chœurs avec elle on double tout ce qu’elle chante pour donner seulement les fréquences, pas le son, donc on n’entend pas les voix des choristes mais on est là juste au-dessus pour que sa voix ressorte. C’était très intéressant parce qu’on était obligées de chanter avec elle, on était dans sa présence tout le temps. On devait la suivre en étant très attentives à ce qu’elle ressentait. Ça c’était magique aussi. On avait du temps de studio, le luxe de faire les choses dans le détail. Elle est perfectionniste. J’avais vu son spectacle avant de travailler avec elle parce que mes copines étaient dedans, Carole a fait ce premier spectacle avec les costumes de Thierry Mugler. Et quand Carole m’a dit : « Tiens on va rentrer en studio », j’ai répondu : « On y va, je suis prête, let’s go ! » Laurent et Mylène ensemble c’était quelque chose de magique, et c’était vraiment quelque chose d’être à l’endroit où ces deux créatifs sont libres, parce que ce sont des créatifs. C’est d’ailleurs un peu pour ça que je suis à Los Angeles aujourd’hui mais je vous en parle après. À ce moment-là je parlais bien français donc ses textes me plaisaient beaucoup aussi. Quand on fait les chœurs on n’aime pas tous les artistes avec qui on travaille mais avec elle c’était vraiment bien et un privilège d’être là. C’était aussi un plaisir d’être dirigée non pas par le producteur mais par l’artiste elle-même. Et on a beaucoup rigolé ensemble, Carole, elle et moi, c’était une très bonne séance. C’est pour ça que je m’en souviens très bien. On savait, pas à ce point, mais on savait qu’il y avait quelque chose de magique dans ce titre et dans ce moment où on l’a enregistré, tout le monde l’avait senti. 

La même année vous êtes à Bercy avec Johnny Hallyday. Quels souvenirs gardez-vous de l’artiste et de ce spectacle ?

Oh il y en a trop, vraiment ! Je peux vous raconter des histoires, tout le monde en a déjà racontées, mais il y en a trop. Johnny Hallyday, qui est au-delà de toute chose, le mythique rock’n’roller, était comme dans un film, il n’était pas réel. Ses mises en scène étaient toujours extraordinaires, sa vie était extraordinaire. Je peux vous raconter des tonnes d’histoires, il y en avait une tous les jours. J’ai porté du Christian Dior, du Agnès B., il y avait tellement de moyens dans ses spectacles… Pour quelqu’un qui aime travailler sur scène, travailler avec lui c’était formidable, je n’ai jamais fait d’aussi grandes scènes. Je ne peux pas vous expliquer, il y a trop de choses… Et puis je ne peux pas raconter toutes les histoires non plus.

L’année suivante vous retrouvez Bercy mais cette fois avec François Feldman…  

Ah j’avais oublié, ah mais oui bien sûr ! Parce que j’avais fait des chœurs sur Joue pas avec Joniece. Ça c’était parce que c’est un ami. On se souvient de François avant qu’il ne devienne un grand parce que moi et Joniece, et Beckie, et Carole, on était là et lui c’était quelqu’un qui rêvait d’être un grand artiste et là il se retrouve à Bercy. On faisait les chœurs pour lui avant qu’il ne soit très connu, alors là j’étais obligée de faire son Bercy, c’était François Feldman (rires) !  

Vous étiez avec Anne Calvert, Yvonne Jones, Joniece Jamison, Carole Fredericks et Beckie Bell, omniprésentes dans la chanson française des années 80 et 90. Toutes américaines et amies. Comment expliquez-vous cet engouement ?

C’était l’époque où les artistes français voulaient un son américain. Michel Jonasz faisait ça par exemple. C’était les années 80 où il fallait ce son anglo-saxon ou américain. On pouvait chanter en français mais dans nos voix il y avait ce son américain. Je crois que c’était aussi ce côté exotique d’avoir des Américains sur scène ou à la télévision. Les radios libres commençaient à jouer beaucoup de titres américains, on en entendait plus que des titres français, donc pour pouvoir suivre il fallait avoir ce son-là. On était là au bon moment. Sylvie savait avant les autres qu’il fallait ce son et ce look-là. Et on était bonnes, on chantait très bien ! (rires) Il n’y avait pas deux Carole Fredericks, deux Anne Calvert ou deux Joniece Jamison. 

Vous êtes choisie en 1994 par Disney pour interpréter la chanson principale du Roi lion, L’Histoire de la vie, un énorme tube. Comment arrivez-vous sur ce projet ?  

La voix originale de cette chanson était celle d’une chanteuse noire américaine et quand on fait du doublage pour Disney il faut que la voix soit très proche de l’originale. J’étais la seule chanteuse française, quoi que je n’étais pas française, qui pouvait atteindre cette tonalité très basse avec le son qu’il fallait. Ce n’est pas que les chanteuses françaises ne soient pas capables, c’est que la langue elle-même ne donne pas l’occasion de vibrer dans ces graves, c’est juste une histoire de culture. Alors ils ont fait plein d’auditions et il n’y avait pas une seule chanteuse française qui pouvait chanter les premières notes du Roi lion. Nous on parle plus fort, la langue est plus gutturale, c’est assez technique. Ils m’ont appelée au dernier moment pour chanter cette chanson d’Elton John et je suis tombée par terre parce que chanter pour Disney il n’y a pas mieux, on n’a rien à faire, juste à suivre leur programme. Pour l’audition il fallait que je chante pendant qu’Elton John et le CEO de Disney étaient au téléphone par satellite parce que Disney c’est un brand mondialement connu, ça n’est pas fait n’importe comment. Ils n’ont pas pris Debbie Davis parce que c’était Debbie Davis mais parce que c’était la seule qui pouvait chanter la note. Ma chanson ouvrait le film, c’était une grande époque pour moi, mon enfant avait vu le film, j’étais très célèbre chez les enfants à ce moment-là, je suis d’ailleurs allée visiter les hôpitaux, j’ai fait plein de choses pour Disneyland, ça m’a permis de faire plein de choses pour les enfants. D’entendre ma voix ouvrir le film c’était un grand moment, c’est plus grand que la réalité. Puis j’ai eu la chance inouïe, parce que ça n’arrive jamais, de faire un deuxième disque. Quand on fait une musique de film chez Disney tu as une chanson et c’est fini, tu chantes La Belle et la Bête comme Céline Dion mais on change d’artiste au film suivant. Mais Le Roi lion était tellement énorme qu’on a fait un deuxième disque basé sur la musique du film où j’ai chanté Hakuna Matata avec Angélique Kidjo. Ils m’ont demandé si je voulais chanter avec Yannick Noah ou Angélique Kidjo et j’ai choisi Angélique Kidjo. Elle est devenue une très grande artiste mondiale depuis. Donc j’ai fait deux disques Disney et je crois que ça ne se fait plus depuis. Et d’ailleurs si j’ai eu un single pour L’Histoire de la vie c’est parce qu’Elton John n’était pas libre pour la promotion du film, il était en train d’enregistrer. Alors là c’était incroyable, j’ai fait toutes les télévisions et on a vendu beaucoup de disques, c’était la folie ! J’ai remercié plus tard Elton John de n’avoir pas été libre pour la promotion (rires). Disney Records m’a proposé un album ensuite mais j’ai refusé parce que j’étais invitée pour chanter avec Al Jarreau et je ne voulais pas être cataloguée chanteuse de ce genre de musique. Comme avec François Valéry il fallait que je me sente libre. 

Quels sont les artistes avec lesquels vous avez travaillé et qui vous ont le plus marquée ?  

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Julien Clerc, Michel Sardou… ça c’est ceux avec qui j’étais sur scène. Et en studio Cabrel, Goldman, Mylène, Maurane… Oh Maurane, quelle fille magnifique ! Elle donnait tellement aux autres ! Elle voulait que tout le monde soit heureux et content mais elle se négligeait, c’était ce genre-là. Pouvoir chanter avec elle était une chance parce que grâce à ce travail-là j’ai été capable de faire Al Jarreau ensuite. C’étaient mes premiers pas dans le monde du jazz. Elle était pure comme artiste et je n’oublierai jamais les moments sur scène avec elle. Elle avait donné son argent, c’était l’Olympia je crois, il n’y avait pas un gros budget mais elle a tout fait pour qu’on se sente bien avec elle. Le spectacle était formidable. J’étais vraiment à l’écoute de sa voix. Voilà ce sont ceux qui me viennent tout de suite en tête, et c’est grâce à eux si je suis qui je suis. 

Vous êtes retournée aux États-Unis depuis une vingtaine d’années maintenant, pourquoi ?

Je me suis dit que mon enfant devait connaître son héritage, son côté américain. J’avais travaillé avec tous les artistes et après Disney qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’il y avait de plus grand qu’Hallyday à l’époque ? Je me suis dit que c’était le moment de partir. À ce moment-là Mylène Farmer préparait un spectacle aux États-Unis, je me demande d’ailleurs si ça ne s’est jamais fait ? Il fallait qu’elle répète à Los Angeles parce que ses musiciens étaient américains et j’avais été choisie sur audition pour aller répéter avec elle. Là je me suis dit voilà, c’est mon exit, mon out, je vais quitter Paris après toutes ces années, je vais divorcer, je vais prendre ma fille et on va vivre quelque chose à Los Angeles. J’arrive à Los Angeles, plus de travail avec Mylène ! Parce que c’est ça le métier aussi, il y a un truc qui se prépare et puis tout d’un coup il ne se fait plus. Bon on ne m’avait pas demandé de m’installer définitivement là-bas mais finalement j’ai bien fait parce qu’ensuite j’ai travaillé avec de grands artistes américains, mais ça c’est une autre histoire. Je n’ai pas travaillé pendant six mois mais ensuite j’ai travaillé avec Al Jarreau, j’ai rencontré des gens et j’ai fini au Cirque du soleil à Las Vegas. Et là qui est le monsieur qui fait mon costume ? Thierry Mugler ! Quand je l’ai rencontré j’ai eu l’occasion de lui dire combien j’avais aimé son travail avec Mylène Farmer, c’était un grand moment pour moi et il m’a dédicacé le croquis de mon costume, il est encadré dans ma maison.  

Que faites-vous aujourd’hui ? Est-ce que vous chantez toujours ? Quelles sont vos activités ?

Aujourd’hui je suis à la retraite. Je donne des cours de chant. Et comme je suis un entertainer, je ne compose pas de chansons, donc je n’ai pas ça à faire, je ne me suis jamais vue comme une artiste solo, donc je ne cherche pas à me faire voir sur scène. Pendant quinze ans j’ai fait le tour du monde, plutôt avec des artistes de jazz, et à un moment on se dit que c’est la fin. Je ne voulais pas être à 60 ans la fille qui en boîte de nuit essaye de revivre son passé. J’ai vécu tellement de jolies choses, une vie de rêve de 21 à 55 ans, c’est magnifique. Quand Al Jarreau est mort je n’ai plus eu envie, on était tellement proche, on a fait des duos, c’est l’artiste qui m’a le plus touchée, avec toutes les expériences que j’ai eues avant, j’ai pu utiliser tout ce que j’avais vécu pour être sur scène avec lui. Aujourd’hui je profite de ma maison, de mon jardin, de ma famille, de ma fille, des voyages…

Propos recueillis le 12 janvier 2022

* chiffres Top France 1984 et 1985

Playlist Debbie Davis : 1 – Sunrise Dance (avec Chance et Joniece Jamison) (1983) ; 2 – La Plus Grande Bêtise de ma vie (avec Guy Bonnardot) (1983) ; 3 – Joy (1983) ; 4 – J’aime l’amour avec toi (1984) ; 5 – Émotion (1984) ; 6 – Love On the Radio (1985) ; 7 – Mémoire tabou (1987) ; 8 – Secrets du Sahara (thème d’Ennio Morricone) (1988) ; 9 – Y a des heures (avec Jean-Pierre François) (1992) ; 10 – L’Histoire de la vie (1994)

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