Camouflage – The Great Commandment

Parmi les quelques groupes allemands qui vont émerger sur la scène internationale dans les années 80, on se souvient de Camouflage. Originaires de Bietigheim-Bissingen dans le district de Stuttgart, Heiko Maile, Oliver Kreyssig, Marcus Meyn et Martin Kähling connaissent leurs premiers émois musicaux au tout début de la décennie, lorsque les cours de danse de salon qu’ils fréquentent se transforment en boîte de nuit le week end… Le DJ du coin y passe les dernières nouveautés, des disques de DAF, The Human League, ou encore Depeche Mode. Le coup de cœur pour ces nouveaux rythmes électroniques est instantané et l’idée de concevoir sa propre musique avec simplement un synthétiseur et une boîte à rythmes fait vite son chemin. Problème : trois des quatre garçons n’ont à ce jour jamais touché un clavier de leur vie. Mais l’insouciance et une motivation acharnée ont raison de cette question trivialement technique et l’apprentissage autodidacte leur permet bientôt d’ébaucher leurs premières compositions sous le nom de Lizenenced Technology. « On était les seuls de notre région, autour de Stuttgart, à faire ça à l’époque. Quand on disait aux gens qu’on faisait de la musique sans guitares, ils n’en revenaient pas. On n’était pas sérieux, ce n’était pas du rock, nous disait-on », se souvient Heiko pour Release Music Magazine en 2003. La musique électronique est encore perçue comme quelque chose de très froid, déshumanisé. Ce qui plaît aux garçons à l’époque, c’est au contraire le côté chaleureux de Kraftwerk et notamment de l’album Computer World.

En 1984, Martin Kähling quitte le groupe. Le trio se rebaptise alors Camouflage, en référence à une chanson du groupe japonais Yellow Magic Orchestra, et donne son premier concert dans la région. Se pose alors la question de la concurrence et de la légitimité : « Je me souviens de la première fois qu’on a entendu parler d’Alphaville, s’amuse Heiko. On venait juste de donner notre premier ou deuxième concert, et on a soudain réalisé qu’il y avait un groupe qui passait à la télé et qui s’appelait Alphaville, et on n’en revenait pas – on était très naïfs – car on pensait qu’on était les seuls à faire ce genre de musique. Je crois même qu’on a pensé que ça n’avait pas de sens de continuer puisqu’il y avait déjà un groupe comme le nôtre ».

Mais Camouflage n’en reste pas là et deux cassettes de maquettes sont enregistrées l’année suivante afin de démarcher les maisons de disques, sans succès. Ce n’est qu’en 1986 que l’une de ces cassettes est présentée à un concours radio qui récompense de jeunes talents et où Camouflage se fait enfin remarquer. Les trois garçons sont en effet approchés par le tout jeune label Westside Music spécialisé dans la musique électronique qui souhaite les rencontrer. Ils ne se rendent évidemment pas les mains vides au rendez-vous et, durant l’entretien, ils passent en boucle l’une de leurs dernières maquettes intitulée Suddenly Went Away dont ils sont persuadés qu’elle ferait un très bon premier single. L’enthousiasme est communicatif et un contrat leur est proposé, le groupe est extatique !

Camouflage entre au studio Dynaton à Weiterstadt (non loin de Francfort) en 1987 avec l’ingénieur du son Axel Henninger, également propriétaire du studio (qui se trouve en fait dans le sous-sol de sa maison) pour enregistrer son premier single, le fameux Suddenly Went Away renommé The Great Commandment. « Alors que nous finissions le mixage, un autre artiste de notre label, un Américain, écoute le morceau et nous dit : « Ça va être un tube énorme aux États-Unis ». On a rigolé en lui répondant qu’on serait déjà contents si ça sortait là-bas », se rappelle le groupe dans le livret de la compilation Rewind – The Best Of 95-87 en 2001.

Avec son motif de synthé répétitif et entêtant dès l’introduction, The Great Commandment se pose comme un morceau de synthpop / new wave typique du moment, lorgnant du côté de l’une des références évidentes du groupe, Depeche Mode. Le texte, quant à lui, dans un anglais un peu approximatif, défend la liberté de pensée en condamnant les méthodes des régimes totalitaires.

Dans les bacs allemands à la rentrée 1987, The Great Commandment est distribué par Metronome, multinationale à la force de frappe évidente que le manager du groupe a réussi à embarquer dans l’aventure. Le succès ne se fait pas attendre et le single entre à la 27e place des classements en octobre et culmine à la 14e place trois semaines plus tard. Très vite, c’est l’Europe et les États-Unis qui s’intéressent au phénomène comme l’explique le groupe dans la réédition de son premier album Voices & Images en 2018 : « Les radios et les disquaires du monde entier jouaient The Great Commandment et en commandaient des exemplaires. C’est ce que fit un disquaire de Salt Lake City qui, en seulement quelques semaines, vendit tant de maxi 45 tours que cela attira l’attention du label américain Atlantic Records. Ils passèrent un accord avec notre maison de disques allemande et insistèrent pour avoir un clip à diffuser pour la promotion du single. » Tourné juste avant Noël 1987, le clip à l’ambiance très 1984 de George Orwell, remplacera donc une vidéo beaucoup plus rudimentaire utilisée pour le marché allemand. En attendant, c’est la France qui succombe au charme de Camouflage et Barclay distribue le single, remplaçant les premiers pressages qui reprenaient le visuel original allemand (un assemblage de papier froissé) par un portrait plus explicite des trois musiciens. Seul autre pays européen où The Great Commandment intègre le classement des ventes, le single atteint la 46e place du Top 50 en juillet 1988.

Quelques mois plus tard, l’incroyable se produit et, non seulement The Great Commandment se classe 59e du Billboard aux États-Unis, mais il est n°1 du classement des discothèques durant trois semaines non consécutives en fin d’année. « Lorsque nous sommes allés aux États-Unis en 1988 pour promouvoir notre musique, notre maison de disques nous a avoué avoir commandé 17 mixes différents de The Great Commandment et que nous avions fait n°1 deux fois avec ce titre, ce qu’apparemment personne n’avait fait avant. C’était un sentiment étrange d’avoir du succès avec une version que nous n’avions encore jamais entendue ! » De nombreux maxi 45 tours promo sont en effet pressés pour le marché américain et, si l’on n’y dénombre pas les 17 versions annoncées, on y trouve, en plus de la version longue originale, une série de remixes réalisés par Gary Hellman et John Luongo, ainsi qu’une autre signée Justin Strauss. L’année suivante, Camouflage signera un autre succès européen avec Love Is a Shield, premier extrait de son deuxième album.

Un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s