
Sur le plan musical, Marie Laforêt va se faire très discrète dans les années 1980. Alors qu’elle se consacre à sa vie privée, elle ne disparaît toutefois pas totalement des écrans, grands ou petits. Le cinéma continue en effet à faire appel à elle et, en 1987, elle est à l’affiche de pas moins de trois films (Sale destin !, Fucking Fernand et Il est génial papy !). À la télévision, on la voit essentiellement pour en faire la promotion, mais parfois aussi pour parler chanson, notamment dans ce Domicile A2 qui lui est consacré le 15 décembre 1987, et où elle reçoit Mylène Farmer dont elle est admirative. « Ah vraiment moi j’adore, je suis inconditionnelle de ce qu’elle fait. Je trouve ça impertinent, fin, intelligent, très dans le coup », répond-elle à l’animateur Marc Bessou en présence de la jeune chanteuse de Sans contrefaçon.
Ce qu’on ne sait pas encore à ce moment-là, c’est que le retour sur disque de Marie Laforêt est imminent. Depuis le 45 tours Y a pas d’raison en 1983, il ne s’était plus rien passé, le dernier album datant, lui, de 1979. Un autre 33 tours était pourtant en chantier en mai 1980, mais elle en bloque la sortie et l’enregistrement n’a, depuis, jamais été retrouvé. Fin 1984, un 45 tours et un clip sont envisagés pour un projet de chanson nommée Marrakech chez Barclay, mais le projet n’aboutira jamais et la chanson n’a probablement pas été enregistrée. Marie part tourner le film Tangos, l’exil de Gardel et l’on n’en entend plus parler.
À vrai dire, Marie Laforêt ne pense plus tellement à la chanson, mais une rencontre impromptue va venir bousculer le cours des choses. « C’est Jean-Marie Leau qui est arrivé un jour, il est tombé dans mon appartement », dit-elle sur France Inter le 23 juin 1988. C’est Étienne Daho qui sert d’entremetteur entre les deux artistes début 1988. Grand admirateur de Marie Laforêt, le chanteur est un ami de Jean-Marie Leau. Ce jeune musicien, qui travaille surtout pour la télévision, est lui aussi un inconditionnel depuis l’enfance et frappe à la porte de la chanteuse avec une idée en tête. « C’est lui qui m’a poussée au crime », explique-t-elle au JT d’Antenne 2 le 11 mai 1988 alors qu’elle est invitée pour présenter son nouveau 45 tours. « Il est arrivé à la maison, je ne m’attendais à rien, je pensais tout à fait à autre chose, et d’un coup il débarque et il me met une musique. » Marie Laforêt est séduite par ce qu’elle entend et ne tarde pas à donner son accord. « Ça s’est fait très vite, simplement, j’avais envie de la chanter, ça s’est fait, je l’ai chantée. »
Sur la musique que lui présente Jean-Marie Leau, Marie va greffer un texte de sa plume (« Oui elle cause, elle peut causer », commente-t-elle avec humour) qu’elle intitule L’Aviva. La vie qui va, le destin d’une femme, d’une artiste, d’une chanteuse, une sorte de portrait de ce personnage public qu’elle incarne encore parfois (« Elle chante tout haut ce qu’on ne chante pas, Ce qu’on chante tout bas, ce qu’on chante tout bas »).

Jean-Marie Leau et Marie Laforêt, 1988
© Richard Melloul
Si Y a pas d’raison était paru chez RCA, cette fois l’artiste, qui n’a plus de label, est produite par Jean-Max Rivière et signée chez Disc’air, petite production distribuée par CBS et qui s’occupe essentiellement des disques d’Alain Turban. Elle enregistre L’Aviva au studio Biper à Levallois ainsi que sa face B, Mamie a cent ans, sous la direction de Jean-Marie Leau. Ce dernier signe aussi les arrangements, avec l’aide d’Olivier Bloch-Lainé pour la face A. L’Aviva, produite essentiellement avec un synthétiseur Fairlight, a le son de l’époque, et rappelle par moment les productions de Laurent Boutonnat pour Mylène Farmer ou bien celles de Romano Musumarra pour Jeanne Mas. Si les chœurs nous semblent eux aussi familiers, c’est qu’ils sont assurés par Diane Dupuis et Aliss Terrell, qui officiaient déjà sur L’Aziza de Daniel Balavoine en 1985. La pochette du disque, aux accents cubistes, est confiée à l’illustrateur Didier Foret et reprend une photo de 1963.
L’Aviva paraît en mai 1988, mais Marie n’en assure pas une promotion très intense car elle part en juin pour le Sénégal où elle a un projet d’hôtel qui ne se concrétisera pas. Les quelques passages dans Embarquement immédiat ou Nulle part ailleurs où elle a par la suite l’occasion d’interpréter sa chanson, ne permettent pas au 45 tours de rencontrer le succès.
L’artiste n’en a toutefois pas encore terminé avec la chanson, et lorsqu’on lui parle de ses anciens succès, elle répond : « Une chanson c’est un art populaire, c’est une chose qui est bien dans un temps donné, dans une période donnée. C’est comme un vêtement, ça se porte et puis on s’en lasse, et puis c’est plus la mode, et puis ça revient, et puis on aime bien le garder dans son armoire et de temps en temps on le ressort. » L’Aviva, elle va la ressortir en effet sous une forme un peu différente lorsque vient le moment d’enregistrer un nouvel album, toujours avec la complicité de Jean-Marie Leau. Celui-ci sort en 1993 sous le titre Reconnaissances (un salut à son public, toujours présent) et contient le titre Ma viva, une nouvelle version de L’Aviva qui propose cette fois un arrangement aux antipodes de la version originale, nettement plus acoustique avec un bandonéon au premier plan (influence du film Tangos, l’exil de Gardel), et laissant de côté les synthétiseurs des années 80. Le texte, lui aussi, est légèrement revu sur les couplets. Manifestement, c’est une chanson qui lui tient à cœur et qui fera même office de deuxième single pour la promotion de l’album en 1994, là encore dans une version remaniée, par Bruno Lambert (avec des percussions différentes et un bandonéon moins présent, sans doute pour donner au morceau une couleur un peu plus commerciale). Marie réenregistre ses voix pour l’occasion. Ce sera sa dernière prise en studio.

Marie, ses filles Lisa et Debora et leurs amies,
février 1988 © Richard Melloul
Le retour de Marie Laforêt avec un album est un petit événement qui sera couronné d’un joli succès. L’album Reconnaissances se classe au top albums à la 27e place et reste cinq semaines parmi les cinquante meilleures ventes.
En 2020, lorsque sort la compilation 3 CD Marie Laforêt, peu de temps après la disparition de la chanteuse, on retrouve en bonne place dans « La sélection de Marie » la version 1988 de L’Aviva (et sa face B), ainsi que dans l’intégrale qui paraît au même moment. Mais les bandes masters n’ayant pas été retrouvées, les deux titres n’ont malheureusement pu faire l’objet d’une remasterisation à cette occasion.
En 2019, lorsque Marie réécoute l’ensemble de sa discographie avec Yohann Masson (qui supervise l’intégrale avec elle), elle préfèrera de loin la version originale de L’Aviva, plus énergique. Mais là où elle prend le plus de plaisir, c’est à l’écoute de Mamie a cent ans (avec aux chœurs ses filles Lisa et Debora et leurs amies), seule chanson de son répertoire qu’elle demandera à écouter deux fois de suite. Aujourd’hui, elle l’aurait mise en face A, disait-elle.
Merci à Yohann Masson pour son aide et son regard bienveillant.