Interview de l’ombre – Alain Grumet

Compositeur discret de la fin des années 80, Alain Grumet signe la musique de plusieurs titres qui ne furent pas des tubes, et ce en dépit de leur efficacité : Les Nuits de délire avec l’ancien mannequin Franck Soriano, ou Quand elle s’endormira avec Michel Denvert, qui a tout de même connu quelques rotations sur M6.

Alain, qui nous a fait la gentillesse de se prêter au jeu de l’interview, va nous raconter tout ça !  L’occasion de découvrir de nouvelles coulisses de l’inextricable jungle de la musique…

Bonjour Alain. Pouvez-vous nous parler de votre formation musicale ?

J’ai commencé à pianoter en 1970. Comme je n’avais pas les moyens d’accéder à des cours de piano, j’ai réagi en me posant la simple question : « Qu’est-ce que je ne sais pas faire ? » La réponse étant : « Tout ! », je me suis peu à peu inventé des cours (techniques, accords, harmonie…). Je me suis donc construit seul, lentement, et à l’oreille.

Comment en venez-vous à composer des chansons de variété ?

Je pense avoir eu, comme tout musicien de mon époque, l’occasion de participer à des bals musette ou des concerts rock, et j’avoue que ça plaisait bien aux jolies dames qui me demandaient l’heure au milieu du concert avec une loupe sur le regard ! J’ai alors réalisé que je n’assumais pas ma personnalité car trop timide… Il me fallait donc être autre chose qu’un simple représentant scénique ! Après de nombreuses reprises de titres connus (bal oblige), j’ai entendu mon frère jouer des accords au hasard sur son orgue et j’ai compris que la composition était le reflet de l’âme. Même si elle n’a pas de rythme au départ, on peut faire une merveille avec une simple mélodie dans la tête.

En 1988, vous sortez Les Nuits de délire avec Franck Soriano. Comment est née cette collaboration ?

Il faut savoir qu’à la base, ce titre était chanté par Michel Denvert. Suite à une mésentente avec le producteur, celui-ci nous a présenté Franck, qui était mannequin à cette période. Mais on entend Michel qui fait les voix derrière.

Michel Denvert était donc le chanteur d’origine du titre Les Nuits de délire ! Quelle était la mésentente entre lui et le producteur ?

Michel ne voulait pas être sur le devant de la scène, ce qui explique qu’il fait juste les chœurs derrière. Franck a dû faire quelques exercices vocaux avant de se transformer en chanteur. On faisait ça chez moi la fenêtre ouverte et on entendait les applaudissements et les rappels de tout le voisinage, c’était impressionnant !

Et comment avez-vous rencontré votre producteur ? Rencontre fortuite, fruit d’une démarche ?

Ce producteur nous a rencontrés dans un bar, et nous a posé quelques questions sur ce qu’on pensait des musiques du moment sur les ondes et nous a finalement pris pour les nouveaux Beatles (rires) !

En 1989, Les Nuits de délire sort dans une nouvelle version remixée. Pourquoi ?

Ce titre a été modifié à plusieurs reprises, aussi bien les paroles que la musique elle-même.  À vrai dire, je préférais les versions premières. Mais on doit accepter les critiques de celui qui produit puisqu’il paye. Sur les premières versions, il y avait des chœurs que j’adorais, qui donnaient des harmoniques importantes. Mais bon, on peut quand même se satisfaire d’avoir eu la participation de Patrice Tison à la guitare (guitariste de Goldman et bien d’autres) puis de Dominique Bertram sur d’autres titres. Il y a eu également des versions pour les clubs.

Pourquoi être passé de Phonogram à Carrère ?

C’est un peu compliqué à expliquer, ça. Pour résumer, c’est une décision du producteur. En fait, on ne signe pas avec une maison de disques mais avec un producteur, qui signe avec les maisons de disques en fonction de ses produits. Il peut donc venir d’une maison de disques et partir sur une autre, ou encore monter son propre label. Je pense aussi que c’est pour obtenir des accès à des studios exclusivement réservés par une marque.

En 1990, Michel Denvert devient bel et bien le chanteur leader avec le single Quand elle s’endormira, et sa face B Chébika, de nouveau chez Carrère. Comment cela s’est-il passé ?

Il y a eu un différend entre Franck et le producteur, ce qui a marqué la fin de cette production. Ces autres titres de Michel Denvert ont été réalisés en même temps que Les Nuits de délire, mais sont sortis sur le marché un peu plus tard. C’est Michel et moi qui en sommes essentiellement à l’origine. Une vidéo a été tournée sur Quand elle s’endormira, et a fait pas mal de passages sur M6. Concernant Chébika, c’est une ville qui existe bel et bien ! Michel en revenait, d’où l’inspiration.

Que s’est-il passé entre Franck et le producteur ?

Le conflit était dû au temps passé à attendre la sortie du disque. Celle-ci a été retardée à cause d’un titre qui passait en boucle sur les ondes à la même époque… un certain Nuit de folie !

Effectivement, Nuit de folie, Les Nuits de délire… Malheureux hasard du calendrier ou clin d’œil volontaire ?

Pour le coup, je ne sais pas d’où venait la décision, je ne rentrais pas trop dans les secrets du producteur…

Est-ce vous qui avez réalisé la version longue de Quand elle s’endormira, parue sur maxi 45 tours et CD maxi ?

J’ignorais qu’il existait des maxis pour Michel Denvert ! Et surtout une version longue, qui à dû être faite par l’ingé son de l’époque ! C’était sans doute dû au clip qui passait à la télé…

En 1991 sort Dose de toi, avec la même face B que le disque précédent. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dernier single ?

Michel Denvert est mon beau-frère. Il m’a toujours fait rire. Lors d’une de ses visites, je lui demande : « T’aurais pas une bière ? » Il me répond « Juste un fond ! ». Alors j’ai chanté « Juste une dose de toi » ! Et puis c’est parti en musique ! C’était la bonne époque… La voiture de Michel était à la fourrière quand on sortait des studios avec mon gros synthé dans les mains à 2 h du mat’ ! On était écroulés de rire !

Vous regrettez cette époque ?

La technologie actuelle permet de faire de belles choses, mais sans vouloir manquer de respect à certains artistes, je trouve qu’elle pollue un peu au détriment du créateur. Beaucoup de producteurs produisent eux-mêmes des titres avec trois accords, des copier-coller et mettent un son d’enfer qui pète bien et c’est bouclé. Plus de place pour l’artiste et la création naturelle. Je suis donc un râleur et un nostalgique de cette belle époque !

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de suite à cette collaboration ?

On peut dire que Michel a eu peur de son succès. Au moment où le clip passait de manière redondante sur M6, il était reconnu à la moindre de ses sorties, en voiture, en courses, ou ailleurs ! La pression même positive lui faisait peur et ne correspondait pas à ses ambitions. Il a donc préféré laisser derrière lui la star et rester lui-même… Et puis, nous avons fait notre temps, place aux jeunes.

Que sont devenus Michel Denvert et Franck Soriano ?

Michel est mon adorable beau-frère. On est éloignés mais le cœur est proche. Franck, en revanche, je ne l’ai jamais revu malgré quelques recherches.

Et vous-même, qu’avez-vous fait par la suite ? Avez-vous participé à d’autres projets commercialisés ?

J’ai reçu beaucoup de propositions, mais en même temps j’ai affronté une grave et longue maladie qui ne m’a pas permis de m’engager. Je suis finalement devenu programmateur de sites internet, j’ai dû faire environ 25 sites qui n’ont rien à voir avec du commercial et de la musique.

Vous proposez de nouveaux morceaux sur votre chaîne YouTube aujourd’hui. Quelles sont vos aspirations, vos attentes ?

Avec le temps, j’ai acquis du bon matériel pour composer mes musiques convenablement ! Il serait dommage de laisser ce trésor dormir. Je crée donc quelques musiques pour la plupart libres de droits car pour moi la musique a toujours plus de valeur quand elle n’est pas business !

Propos recueillis par Antoine HLT
(Interview initialement publiée sur le blog 80’s de l’ombre en janvier 2020)

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