Kate Bush – Babooshka

Début 1980, Kate Bush est aux studios Abbey Road pour la deuxième session de travail sur son troisième album, Never for Ever. Désormais réalisatrice de son disque (avec la collaboration de Jon Kelly), c’est elle qui tient la barre, dirige les musiciens et impose enfin sa propre vision sur ces chansons nées de son imagination et de sa créativité foisonnante. Les compositions qui vont former ce nouveau 33 tours ont été écrites récemment, ce qui n’était pas toujours le cas de celles gravées sur ses deux premiers opus qui piochaient largement dans la centaine de morceaux déjà imaginés par la toute jeune musicienne.

Parmi ces nouveaux morceaux, il en est un, Babooshka, que Kate Bush va maquetter comme une ballade piano-voix, et qui finira par prendre une direction bien différente. Comme souvent chez Bush, sa chanson raconte une histoire. Régulièrement inspirée par des films ou des lectures, c’est cette fois une chanson folk, Sovay, qui va lui souffler sa thématique. « C’est inspiré d’un thème qu’on retrouve souvent dans les chansons folk, où l’épouse commence à sentir que peut-être son mari est infidèle », commente-elle à Countdown Australia. Il suffit à la chanteuse de poser les quatre premiers vers de son texte pour décrire son intrigue mais également d’en donner l’issue, la morale. Une femme qui souhaite tester l’amour de son conjoint lui envoie des missives énamourées signées du pseudonyme Babooshka. Monsieur tombe bien évidemment dans le panneau, charmé par ce qui l’avait déjà séduit au début de leur relation. « L’idée générale de la chanson c’est vraiment la futilité et la stupidité des êtres humains et comment par nos pensées et nos idées qui tournent en boucle on finit par devenir complètement paranos. Dans le cas de cette femme, il se trouve qu’elle doutait d’un homme qui ne faisait rien de mal, qui l’aimait beaucoup même. Mais par sa suspicion et ses pensées malsaines elle a détruit leur relation ».

Quant à l’utilisation de « Babooshka » dans le refrain (qui en russe signifie grand-mère), il s’agit tout bonnement d’un mot qui lui est passé par la tête au moment où elle écrit la chanson et dont les trois syllabes collent parfaitement. « Je suppose que ça me vient d’un conte de fée que j’ai lu quand j’étais enfant », dira-t-elle à Radio One. Une suite de coïncidences va d’ailleurs la frapper juste après l’écriture de la chanson : « J’ai allumé la télé et je suis tombé sur Donald Swann qui chantait Baboushka. Puis j’ai ouvert le magazine Radio Times et là, autre coïncidence, il y avait un opéra appelé Baboushka (…) Et j’ai aussi une amie qui avait un chat appelé Baboushka ».

Si Babooshka a été écrite et composée rapidement, l’enregistrement, à l’image de Breathing, va lui donner du fil à retordre. En effet, Kate Bush, qui sait ce qu’elle veut, n’hésite pas à écarter certains de ses fidèles musiciens lorsqu’elle considère que leur jeu n’est pas en adéquation avec ce qu’elle a en tête. La basse notamment pose problème et requiert plusieurs essais avec à chaque fois un changement de casting, ce qui va inévitablement froisser quelques sensibilités. Del Palmer, alors petit ami et bassiste de la chanteuse, est mis sur le banc de touche au profit de John Giblin (qui joue notamment sur le titre No Self Control de Peter Gabriel pour lequel Bush vient de faire les chœurs). « J’adore la ligne de basse de cette chanson », dira-t-elle finalement de Babooshka.

L’arrivée de l’échantillonneur Fairlight CMI lors du travail de production de l’album va également s’avérer extrêmement chronophage tant la chanteuse est fascinée par la machine dont elle veut tester les possibilités sur chacune de ses nouvelles chansons. Sur Babooshka, la fable ironique est ponctuée de bruits de verres cassés afin de symboliser la colère de celle qui se croit trahie. « On a dû casser pas mal de vaisselle avant de trouver le son qu’il fallait ; les dames de la cantine n’ont pas été impressionnées ». Le résultat est une vraie réussite de rock avant-gardiste au refrain imparable qui met à nouveau en évidence les talents d’interprète de Kate Bush, tantôt conteuse et tantôt exubérante Babooshka.

Dans le clip de Keith MacMillan, elle incarne celle qui, endeuillée de noire, a probablement tiré un trait sur son couple et ses belles années, pour se changer ensuite en créature de fantasme qui apparaît dans toute sa force et sa sexualité.

Dans une version plus courte que celle que l’on découvrira sur l’album, Babooshka arrive chez les disquaires anglais le 27 juin 1980 sur un 45 tours dont la face B, Ran Tan Waltz, ne se retrouvera pas sur l’album. Après le superbe mais peut-être un peu moins évident Breathing, Babooshka est le deuxième extrait de l’album Never for Ever à paraître en avant-première de celui-ci qui n’arrivera que le 7 septembre, et c’est un plébiscite ! Entré 63e des classements britanniques le 5 juillet, le disque grimpe jusqu’à la 5e place le 2 août, date à laquelle il est certifié disque d’argent pour 250 000 ventes. La chanteuse va même se fendre d’un peu de promo et on la verra notamment en France en octobre dans le Collaro Show. Chez nous, Babooshka sera un succès d’hiver qui se hisse dans les 10 meilleures ventes en décembre et fera mieux qu’au Royaume-Uni en s’écoulant à plus de 400 000 copies. Dans la foulée, l’album Never for Ever (qui aura droit à un troisième single, Army Dreamers) dépasse les 200 000 ventes.

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