Interview – Julie Pietri : 40 ans de carrière

Julie Pietri Pop Music Deluxe
© Carole Bellaiche

A l’aube de la sortie de son nouvel album, Julie Pietri sera sur la scène parisienne du Théâtre de la Tour Eiffel le 8 mars 2020 pour célébrer ses 40 ans de carrière. La chanteuse revient pour nous sur quelques points de son riche parcours musical avant d’évoquer son nouveau disque.

Vous allez fêter sur scène vos quarante ans de carrière et il y a justement un album qui a quarante ans cette année, c’est le tout premier, que vous aviez négocié après le succès de Magdalena pour finalement partir sur quelque chose d’assez différent musicalement. Il vous ressemblait cet album ?

Julie Pietri premier album Pop Music Deluxe

Sûrement. J’ai toujours été entre deux styles, ce qui fait ma spécificité ; c’est-à-dire que j’ai toujours été entre le populaire, Maria Magdalena, quelque chose qui se retient, qui est à la fois très beau, qualitatif, mais aussi quelque chose qui au fond de moi répond à mes désirs de musique et d’art et qui est plus fouillé, musicalement exigeant. On s’aperçoit en écoutant cet album que je reprends un morceau d’Aerosmith, un morceau des Doobie Brothers, que je dis des choses qui touchent le fond de mon âme.

On commence à se rendre compte à partir de ce disque que vous êtes une chanteuse vocale.

Je pense avoir été la seule chanteuse « à voix » de la décennie 80. C’est Lara Fabian qui m’a dit ça il y a quelques temps sur un plateau de télé : « Pour moi vous étiez une référence vocale parce qu’il n’y en avait pas beaucoup dans les années 80 ». Alors c’est elle qui l’a dit, et je l’en remercie d’ailleurs. Elle a trouvé que j’étais une référence, ce qui est quand même très sympa.

Ce premier album n’est aujourd’hui ni disponible sur CD ni sur plateforme, est-ce qu’on pourra l’écouter un jour autrement qu’en vinyle ?

C’est une bonne question. Il y a quatre morceaux de cet album-là dans l’anthologie De Julie à Julie Pietri, donc déjà ça existe. On peut au moins écouter quelques-unes de ces jolies chansons. On me demandait encore récemment de rééditer La Légende des Madones, qui pour moi est un merveilleux souvenir, mais c’est pareil, c’est beaucoup de soucis pour finalement quelques aficionados. Je préfère qu’on table sur ce qui arrive. Je ne peux pas éditer quelque chose uniquement pour quelques fans, ou alors donnez-moi des sous, faites une cagnotte ! (rires) Je préfère produire mon nouvel album. Moi je suis quelqu’un de l’avenir, le passé est magnifique mais l’avenir est encore plus beau.

En 1982, Et c’est comme si marque vos débuts en tant qu’auteure, sur l’incitation de votre manager, vous ne pensiez pas en être capable ?

Julie Pietri Et c'est comme si Pop Music Deluxe

J’étais jeune et je sortais de la fac de médecine avec mon diplôme d’orthophoniste, j’étais dans la Bande à Basile, j’avais tout un truc à construire dans ma tête. Il fallait que je mette le pied à l’étrier, c’était pas sûr que je réussisse quoi que ce soit. Quand on m’a remarquée dans la Bande à Basile, qui était un peu ma Star Ac à moi, j’étais pas là pour faire l’apologie de la Commedia dell’arte pour les enfants, j’étais là pour apprendre mon métier. Ça m’a servi de tremplin pour me faire remarquer et qu’un directeur artistique de la maison CBS me propose Magdalena. C’était un premier pas. Je ne m’attendais pas à faire un tube. Il fallait que tout ça soit digéré, et encore j’ai eu du mal à comprendre ce qu’il m’arrivait à l’époque parce que j’étais persuadée que je ne ferais rien, je suis un peu défaitiste. Après il fallait continuer le chemin et l’étape suivante c’était de devenir auteure, d’étudier les plus grands, regarder les textes de Gainsbourg, de Lavilliers, de Sanson… de tous ces gens qui me faisaient rêver, d’étudier la prosodie. Mais en fait, le morceau I Go To Sleep c’est un ami éditeur, à l’époque directeur aux éditions Barclay, qui m’a incitée à le reprendre. J’adorais ce morceau et j’ai trouvé que c’était une très bonne idée. Je n’ai pas voulu donner le texte à adapter à quelqu’un d’autre. Mon équipe m’a dit : « Il serait temps que tu t’y mettes. Qu’est-ce que tu en penses ? ». Et moi j’ai répondu, comme toujours, que je ne m’en sentais pas capable, je suis toujours très peu sûre de moi-même. Et puis j’ai fini par écrire ce texte qui a été accepté par les éditions de l’auteur original, Ray Davies du groupe les Kinks. On lui avait un peu expliqué ce que je racontais et il a donné son accord. Ça reste un petit plaisir très personnel d’avoir mon nom à côté du sien sur les crédits. Je repensais à mon frère aîné qui me faisait écouter les Kinks quand j’avais onze-douze ans… c’était notre petit truc à nous.

Et en plus ça a été un tube ! Ça vous a donné confiance en vous pour continuer à écrire ?

Oui, ça m’a confortée parce que moi j’avais envie de continuer à écrire, ou de co-écrire avec des amis, mais c’était sans compter sur un certain producteur d’une certaine maison de disques qui voulait m’imposer ce qu’il avait dans ses tiroirs d’édition. J’étais encore très jeune, il y a des choses que je ne savais pas. Je voulais faire un blues, dont j’avais trouvé la chanson et dont j’avais fait l’adaptation, avec Herbert Léonard parce que j’étais en admiration devant sa voix. Carrère a appelé toute l’équipe, Julien Lepers, Vline Buggy, et puis ils sont arrivés avec une chanson toute faite. J’étais ravie que ça marche et de chanter avec Herbert mais bon, en séance de studio, je me souviens avoir demandé à ce qu’on change, même si ce n’est pas moi qui le chante, la phrase « à ne plus manger, ne plus dormir », je trouve ça d’une platitude… Parce que quand on écrit un texte un peu profond comme Et c’est comme si, chanter ensuite Amoureux fous, bon… Mais ça a fait un énorme tube quand même.

Vers 1985 vous enregistrez deux titres, Pretoria et Désert, qui sont restés inédits, vous vous en souvenez ?

Oui je me souviens. Je devais d’ailleurs éventuellement faire l’Eurovision et puis j’avais tellement de problèmes avec ce producteur que j’ai voulu me tirer. J’ai fait ces maquettes. Désert, bon… Mais j’ai réécouté l’autre jour Pretoria qui pour l’époque était vraiment formidable, ça rentrait dans la lignée de choses qui m’intéressaient plus que de chanter Amoureux fous. Moi j’avais des convictions politiques… Ensuite on a fait Tora tora tora, un truc que je ne cautionnais pas, mais j’avais écrit la face B avec mon ami Jean-Michel Bériat, A force de toi, qu’on a ensuite sorti en face A. Et puis à ce moment-là j’ai dit à Carrère : « Je te rends mon contrat », il m’a dit : « Tu me dois deux disques » et puis je lui ai laissé mes royalties. C’est comme ça qu’on fait avec ces gens-là, il faut leur laisser l’argent. D’ailleurs ils ne l’emportent pas au paradis. Mais bon c’est du passé tout ça, ça ne m’intéresse pas. Quand on revient avec son nom de famille un an plus tard et un album comme Le Premier Jour, je crois qu’on a gagné la partie.

L’album Le Premier Jour est enregistré assez rapidement en 1986 et il paraît que vous n’étiez pas totalement satisfaite des arrangements. Vous allez d’ailleurs les refaire pour la version anglaise de l’album.

Je ne m’en souviens plus… On a voulu le réactualiser. C’est normal, d’une année à l’autre ça change musicalement, ce ne sont plus les mêmes sons, mais c’était le même arrangeur et le même compositeur, Vincent-Marie Bouvot, qui s’en est occupé. C’est vrai qu’on avait été très rapides puisque pendant que je faisais des télés, des concerts le jour, la nuit on enregistrait l’album Le Premier Jour. Il n’avait pas pu aller jusqu’au bout de ses idées. On a été un peu plus loin dans l’album en anglais. Mais bon ça aussi ça a été mal travaillé. J’aurais dû partir avec cet album en anglais beaucoup plus loin, au Canada, en Amérique du Sud…

En 1987 vous faites l’Olympia pendant une semaine. Quel souvenir en gardez-vous ?

Magnifique ! L’apothéose. Ça a été vraiment superbe. J’étais très stressée. C’est un accomplissement personnel absolument fantastique et un vrai souvenir. Il est d’ailleurs sorti en DVD et je dois dire que j’en suis très heureuse. Quand je vois quelques extraits, je me dis qu’on a fait une très belle scène. Quelqu’un m’a rappelé qu’il y avait Maurane dans la salle, Liane Foly… D’ailleurs Liane Foly sortira un peu plus tard La vie ne m’apprend rien parce qu’elle m’a vue sur scène l’interpréter un an après la mort de Daniel Balavoine. C’est là qu’elle a eu l’idée.

Vous réenregistrez à cette époque certains de vos succès (Magdalena, Je veux croire, Et c’est comme si…). C’était dans quel but ? Une compilation ?

Ah bon, j’ai fait ça moi ? Vous savez, j’ai toujours produit de nouvelles versions moi-même. J’ai toujours recommencé tout. Pourquoi voulez-vous donner toujours les morceaux d’origine ? On s’emmerde à la fin ! (rires) J’ai reproduit dans Féminin singulière, dans Lumières, j’ai toujours reproduit mes morceaux, je ne les ai jamais laissés en l’état. Je trouve que la musique change et que ce n’est pas la peine de faire has been, moi ça ne m’intéresse pas du tout. Ça ne m’intéresse pas de réécouter la version de 1980, pas du tout. C’est bien dans une compil, mais il faut réactualiser sinon les gens s’ennuient gravement.

En 1989 sort l’album La Légende des Madones. Comment est né le concept de ce disque ?

J’avais très envie d’évoluer après le succès du Premier Jour et après l’Olympia. A l’époque, j’étais très rock et je ne fréquentais que des musiciens très rock. Et puis je suis très culture cinématographique, peinture etc. J’ai toujours été une fan de cinéma et j’ai voulu faire un concept de musique de film. Tout devait se tenir. Chaque chanson était en lien avec la suivante, comme une musique de film, et je le voulais très « barock’n’roll ».

On y retrouve très largement la thématique de la femme.

Julie Pietri La Légende des Madones Pop Music Deluxe

Ah mais je ne cache pas que je suis une féministe convaincue. On n’écrit pas un texte comme Eve, lève-toi pour des prunes ! C’est revendiqué à 200%. « Oh femme unique, péché, désir, pour un serpent de bible a brisé son empire », ça veut dire que déjà dans l’Ancien Testament on nous a collé le péché originel. Aujourd’hui on me dit que mon morceau est très féministe et fait partie de la culture française, c’est une belle reconnaissance. Même s’il n’en reste qu’une et que c’est celle-ci, ça me convient très bien, il en reste une et pas des moindres. Mais je n’ai pas ce genre d’orgueil. Dans La Légende des Madones, c’est vrai que les aficionados ont reconnu une force créative très puissante et basée sur le féminisme. Mais ça n’était pas assez premier degré pour que ça ait un immense succès populaire. J’ai été un petit peu trop exigeante et sur cette musique et sur ce concept. Ça passait au-dessus de certaines personnes mais c’est pas grave, moi je me suis fait plaisir. Je n’ai pas de plan de carrière. Je n’ai jamais rien fait pour que ça marche. J’ai fait ce qui me plaisait et si ça ne plaît qu’à quelques-uns, c’est déjà beaucoup. Ça reste un album de référence.

Vous serez sur scène dimanche pour vos 40 ans de carrière. Est-ce que ça a été difficile de choisir les chansons ?

Non, j’avais quand même une idée de ce que j’allais présenter, de ce que je voulais donner en avant-première. Ça n’est pas difficile parce qu’il y a des choses que je ferai après dans d’autres spectacles, parce que la vie ne s’arrête pas à dimanche prochain. Mais c’est moi qui ai tout voulu de A à Z. C’est moi qui fait le concept de ce spectacle.

Vous avez hâte de retrouver votre public ?

Hâte et la trouille, comme d’habitude !

Vous êtes en train d’enregistrer un nouvel album. Quelle couleur allez-vous lui donner ?

Je pense que c’est un album de variétés parce qu’il y a des musiques variées. C’est un très joli mot et ça n’est pas galvaudé. Ça veut dire que vous avez fait une variété de chansons et de musiques, donc je trouve ça juste en ce qui concerne cet album que je vais sortir fin avril-début mai. Ça va de la complainte très chanson française à des ballades rock. Ça me définit. J’ai toujours été comme ça, quelqu’un de très varié qu’on a toujours voulu enfermer dans la case d’un tube. Mais c’est pas grave, j’accepte.

Propos recueillis le 2 mars 2020

Voir aussi : Julie Pietri – Les années tubes (1979-1989).

Julie Pietri 2019 Pop Music Deluxe
© Lionel Blancafort

9 commentaires

  1. Très belle interview d’une artiste que j’aime beaucoup. On aimerait en savoir plus sur son début de carrière, ses premières chansons, ses inédits… Merci encore et vivement le mois de mai !

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  2. Desert et Pretoria
    elle aurait pas pu les inclure sur sa compile de 2014
    ca aurait été l’occasion

    je suppose qu’à moins d’un miracle faut pas espérer les avoir un jour

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  3. Artiste dont j’aime beaucoup la voix et la plupart des chansons (Ah, « L’homme qui aimait les femmes », que j’ai connu en Face B de « Eve, lève-toi » !). Je trouve cependant, en lisant cette interview, et après l’avoir vue en vidéo, qu’elle est un peu trop fière d’elle et de ce qu’elle a fait. Elle semble avoir le syndrome « grosse tête »…
    Sinon, à ne pas vouloir/pouvoir rééditer son magnifique album « La légende des madones », elle laisse libre cours au travail des amateurs « aficionados » qui en font de superbes disques. Merci à eux d’ailleurs.

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    • mais elle a pas dit qu’elle était contre la réédition des madonnes
      elle a dit que c’était le fric qui manquait. Et elle préfère produire du neuf. Les madonnes on trouve le CD d’occas assez facilement alors au final a quoi bon le rééditer ?

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  4. Oui, elle fait un peu Madame « Moi je » dans cette interview. Cependant, je vous suggère d’aller voir une très belle interview d’elle donnée en 2009 et intitulée « Cour de la Métairie ». Et de lire aussi son livre « Fille du silence » publié chez Michel Lafon cette année-là qui est très émouvant.

    Jean : Je suis aussi d’accord avec vous en ce qui concerne Rose Laurens. J’ai eu l’occasion de la voir deux fois sur scène, artiste injustement réduite à « Africa », même si ce tube était une très bonne chanson.

    Concernant Julie Pietri, je suis ravi d’apprendre qu’elle ne voulait pas chanter, dans « Amoureux fous » la phrase « Amoureux à ne plus manger, ne plus dormir ».

    Je me demandais d’ailleurs comment elle avait voulu chanter cette phrase, parce que j’avais lu une interview où elle disait qu’elle était insomniaque.

    Il m’est arrivé malheureusement en 2005 d’avoir pris un psychotrope qui a eu pour effet néfaste de ne plus me faire dormir du tout, et ce n’est pas joyeux du tout ce qui peut arriver ensuite après cela…

    Et du coup, je ne voulais plus écouter cette chanson « Amoureux fous » à cause de cette phrase.

    Même si je sais que c’est plus à prendre au second degré car cela signifie qu’ils ne peuvent plus dormir parce qu’ils font l’amour toute la nuit. Je pense d’ailleurs que c’était parce qu’elle trouvait cette phrase niaise qu’elle ne voulait pas la chanter !

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  5. Quant la chanteuse parle d’une réédition de « La Légende des Madones », je pense qu’elle se trompe d’album car celui-ci a été réédité en 1995 et on peut facilement se le procurer. Elle voulait plutôt parler de l’album « Le Premier Jour », à mon avis, introuvable dans le commerce et sur les plateformes de streaming. Concernant les chanteuses à voix françaises apparues au début des années 80, je citerais Corinne Hermès même si elle n’a pas connu une carrière phénoménale. Et dans un tout autre registre il y a aussi Catherine Ringer.

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