Diana Ross – diana

Diana Ross diana Pop Music Deluxe

Dix ans après ses débuts en solo chez Motown, Diana Ross a enchaîné les albums, les succès ainsi que les revers, et son dernier 33 tours en date, The Boss, sorti en 1979, n’a pas généré de réel tube, recevant toutefois un disque d’or aux Etats-Unis. Le temps est au changement et après plus de vingt ans de carrière, la chanteuse de 35 ans sent qu’à l’aube d’une nouvelle décennie le moment est opportun pour se lancer dans un projet audacieux. Et pour cela, elle a une alliée chez Motown, la productrice Suzanne de Passe, en charge de donner un nouveau souffle à sa carrière. L’un des sons du moment est celui du groupe Chic dont le mélange de funk, disco et R&B fait un malheur. Outre les méga tubes Le Freak (1978) et Good Times (1979), Chic est de plus en plus demandé, et vient de produire We Are Family pour Sister Sledge et Spacer pour Sheila. L’idée de Suzanne de Passe est tout naturellement de se rapprocher de Nile Rodgers et Bernard Edwards, les deux têtes pensantes de Chic, plutôt que de faire appel aux sempiternelles recettes Motown et ses auteurs-compositeurs maison. Le pari est osé, car Diana Ross est une institution qui touche un public familial, et Chic un duo avant-gardiste, notamment par son traitement novateur de la basse et de la guitare, qui s’adresse particulièrement à la jeunesse fréquentant assidûment les discothèques. Les enfants de Diana Ross ne s’y trompent d’ailleurs pas et c’est sur leur insistance que la star se décide à les emmener écouter Chic en concert à Santa Monica. La première rencontre se fera backstage : « Diana n’en revenait pas de la réaction du public. Elle nous a dit : « Je n’ai pas vu ça depuis les Jackson 5. Je veux que mon disque ressemble à ça » », se souvient Nile Rodgers pour Billboard Magazine. La diva est enthousiaste, et le duo également. Toujours en quête de reconnaissance, Chic n’a encore jamais travaillé avec un artiste de son niveau, et pour lui livrer des compositions qui lui ressemblent, ils prennent le temps d’apprendre à connaître la chanteuse en passant du temps avec elle. « Une fois qu’on est devenus amis, elle a commencé à dévoiler des choses que personne ne sait d’elle. Personne ne se doutait qu’elle était déterminée, complexe, intellectuelle », raconte Rodgers dans le livret de la réédition de l’album en 2001. Diana semble prête à révolutionner sa carrière et avant tout à y prendre du plaisir.

Le son « Chic »

Diana Ross My Old Piano Pop Music Deluxe

Et puisque c’est le son Chic qu’elle désire, c’est ce que les deux musiciens vont lui livrer, en allant même plus loin que ça. La confiance que leur accorde la chanteuse leur donne des ailes, et Rodgers et Edwards vont bâtir ce projet en se permettant des incartades bien plus sophistiquées et ambitieuses que ce qu’ils osent faire pour eux-mêmes afin de montrer ce dont ils sont capables et d’obtenir enfin cette crédibilité artistique qui leur fait défaut avec leurs hymnes de clubs. C’est leur chance et ils la saisissent puisqu’ils sont certains d’avoir Diana Ross de leur côté. Huit titres au ton résolument joyeux sont composés et l’enregistrement du disque débute en novembre 1979 au studio Power Station à New York où Chic a ses habitudes. Là-bas, Diana Ross découvre une manière de travailler qui lui est totalement étrangère : « On enregistre nos chanteurs dans le noir avec juste une lumière pour lire les paroles et on ne les laisse pas apprendre les chansons avant l’enregistrement parce qu’on veut un rendu « live ». Un peu déboussolée, la chanteuse est poussée dans ses retranchements afin de livrer une performance vocale plus spontanée et vivante désirée par les deux producteurs. Mais les sessions ne se déroulent pas sans heurts et la diva, piquée au vif par une remarque acerbe d’Edwards sur son interprétation, claque la porte.


L’album, prévu initialement pour janvier 1980, est retardé. Les sessions se poursuivent pourtant en février et le 15 mars la plupart des titres sont dans la boîte. Le mixage a lieu une semaine plus tard et le verdict est sans appel : c’est une catastrophe ! Ni la chanteuse ni sa maison de disques ne sont convaincus par ce disque qui leur semble trop déroutant voire risqué. Après avoir appelé de ses vœux un renouveau, il semblerait que la production Chic ne soit finalement pas le changement espéré. Ross recueille les avis de tout son entourage sur ses enregistrements et reçoit des retours frileux, le DJ new-yorkais Frankie Crocker lui prédit carrément la fin de sa carrière. Dans ces conditions, elle ne voit pas d’autre solution que de demander à Rodgers et Edwards de revoir leur copie, ce qu’ils feront de mauvaise grâce en apportant quelques retouches mineures qui ne dupent personne. Considérant qu’ils ont rempli leur part du contrat, ils lui suggèrent de remixer elle-même l’album si le résultat ne lui convient toujours pas. Et c’est ce qu’elle va faire en faisant appel à Russ Terrana, ingénieur du son maison avec lequel elle travaille depuis l’époque des Supremes et qui connaît la voix de la chanteuse comme personne. Si les chansons, le son Chic, sont bien présents sur le disque, il en repère instantanément les écueils : « On aurait dit un album de Chic avec la voix de Diana Ross. Ce n’était pas un album de Diana Ross. J’ai essayé de recréer la dynamique qui semblait manquer afin qu’on puisse ressentir les différentes émotions et entendre les subtilités qui étaient déjà là dans la musique ». Terrana va se débarrasser de tout ce qui faisait la complexité du premier mixage, enlevant certains effets, raccourcissant telle intro trop longue, en ajoutant une là où My Old Piano attaquait immédiatement par un refrain chanté, remplaçant les prises vocales à l’aspect trop brut par d’autres plus lisses… Tout en gommant en partie l’audace et les aspérités du mixage originel, Terrana fait preuve d’intelligence dans le sens où il rend le travail de Chic beaucoup plus immédiat et accessible. En avril, l’album est enfin prêt. « J’étais effondré à la première écoute du mixage Motown. Je pleurais sur notre vision artistique. Ce n’est pas vrai que la maison de disque nous a dépossédés de l’enregistrement. Il leur appartenait depuis le départ. Ils ont recréé notre travail avec un angle différent. Notre concept était de faire quelque chose de plus avant-gardiste et le leur était de faire quelque chose d’un peu plus accessible et commercial », analyse Nile Rodgers.

Upside Down

Diana Ross Upside Down Pop Music Deluxe

En mai 1980, l’album est finalement dans les bacs, intitulé sobrement diana, arborant sur sa pochette une chanteuse au look d’adolescente en jean et t-shirt, cheveux mouillés. Ross souhaitait des chansons sur lesquelles ses enfants pourraient chanter et c’est directement à eux qu’elle s’adresse ici. Pourtant le malaise est palpable chez Motown, et diana sort dans un premier temps sans aucun single pour le soutenir. Il faut dire aussi que le mécontentement de Rodgers et Edwards fait parler. Les deux jeunes producteurs qui n’ont pas encore trente ans se sentent floués, dépossédés, trahis par la chanteuse et par sa maison de disques, et envisagent même à un moment de demander à ce que leurs noms n’apparaissent pas sur le disque. « On ne veut pas que le public pense qu’il s’agisse de notre mixage. Le problème de base c’est qu’on avait deux conceptions différentes de la façon dont sa voix devrait sonner. Elle entend sa voix d’une façon et nous d’une autre », commente Rodgers au magazine Billboard. Après l’album de Sheila où ils n’avaient pas eu leur mot sur le final cut, l’histoire se répète, les producteurs veulent le son Chic tout en paraissant en avoir peur. La Motown semble embarrassée de cet album dont elle ne sait que faire et ne sait quelle stratégie adopter en choisissant un premier extrait. I’m Coming Out est tout d’abord envisagé, tout comme Have Fun (Again), mais c’est finalement l’évident Upside Down qui va s’imposer et prendre place dans les bacs des disquaires au mois de juin. Initialement intitulé The Work Song, Upside Down fait partie des morceaux travaillés dès les premières sessions d’enregistrement de l’album. « C’était différent de tout ce qu’on avait déjà écrit. On a inclus au texte de nombreux mots polysyllabiques comme « instinctively » et « respectfully » parce qu’on voulait se servir de la sophistication de Diana afin d’atteindre un niveau élevé de musicalité. Malgré l’éloignement du style avec lequel on avait fait nos preuves, on savait qu’Upside Down était un hit en puissance », se souvient Nile Rodgers dans son livre Le Freak: An Upside Down Story of Family, Disco, and Destiny. Inspirés par les mots de la chanteuse qui leur avait confiés vouloir « chambouler » sa carrière, Upside Down offre à la diva un morceau de choix complexe sur lequel la guitare de Nile, la basse de Bernard et les cordes de Chic font merveille sans que l’interprétation de la chanteuse ne démérite à aucun moment. Upside Down est bien le renouveau espéré, même si la version commercialisée ne va pas jusqu’au bout de ce qu’espéraient les deux producteurs dans la vision ambitieuse qu’ils avaient conçue pour Ross. S’il est évidemment un phénomène dans les clubs, Upside Down fait son chemin dans les classements durant l’été pour finalement se retrouver n°1 du Billboard Hot 100 en septembre au mais également au classement R&B et dans les discothèques. C’est un disque d’or pour 500 000 ventes certifiées aux Etats-Unis, un disque d’argent au Royaume-Uni et plus de 300 000 copies vendues en France où c’est le premier véritable tube de la chanteuse et un n°1 de clubs. Upside Down est éditée en 45 tours dans une version encore plus courte que celle de l’album, et est couplée en face B à Friend to Friend, la seule ballade de l’album.

I’m Coming Out

Diana Ross I'm Coming Out Pop Music Deluxe

Le deuxième single, I’m Coming Out, est lancé en août alors même que Upside Down n’a pas terminé son ascension au sommet. L’idée de la chanson vient à Nile Rodgers alors qu’il est dans une discothèque de Manhattan et qu’il croise aux toilettes trois drag queens habillées en Diana Ross. Il imagine alors la chanteuse débarquant sur scène en chantant « I’m Coming Out », un formidable geste artistique. Mais la référence au coming out gay est beaucoup trop appuyée pour la maison de disques et la chanteuse elle-même qui s’imagine qu’on va penser qu’elle est lesbienne. « C’est la seule fois où j’ai menti à un artiste », avoue Rodgers en 2013. « Je lui ai dit : Mais de quoi tu parles ? J’ai jamais rien entendu d’aussi dingue de toute ma vie. On avait écrit cette chanson en référence à son public gay mais on lui a dit que c’était pour faire son entrée sur scène lors de ses concerts, et c’est ce qu’elle fait depuis ». Et cet hymne dance va évidemment parler immédiatement à la communauté LGBT qui s’en est emparé depuis, même si les paroles se veulent plus universelles et parlent de prendre sa vie en main. Nile a l’idée d’y ajouter un solo de trombone, notamment parce qu’il est rare d’en trouver dans des chansons populaires depuis les années 60. Nouveau succès, I’m Coming Out se retrouve 5e du Billboard le 15 novembre alors que Upside Down est toujours dans le top 10. En face B pour la plupart des marchés se trouve Give Up, autre titre dansant, placé en dernière piste sur l’album.


« Quand je suis entré dans son appartement et que j’ai vu le grand piano, je ne savais pas si elle en jouait ou pas, et je m’en fichais. Le sentir là dans la pièce vous en apprend davantage sur quelqu’un », se remémore Nile Rodgers lors de sa première visite chez Diana. Et si la chanteuse dira que My Old Piano était la seule chanson de l’album qui ne s’inspirait pas directement de ce qu’elle vivait à ce moment-là, Rodgers a peut-être un autre avis sur la question. My Old Piano, autre morceau marquant qui se détache particulièrement du disque par son efficacité immédiate, est choisi comme troisième single. Mais aux Etats-Unis, il est commercialisé en septembre, quasi simultanément à un autre 45 t de Miss Ross, It’s My Turn, extrait du film du même nom (C’est ma chance en français). Et dans les charts américains, c’est ce dernier qui va marcher, atteignant la 9e place tandis que My Old Piano ne décolle pas de la 109e. Il recevra meilleur accueil en Europe où ce classique en devenir est 2e aux Pays-Bas, 4e en Belgique et 5e au Royaume-Uni. Now That You’re Gone sera sa face B en Angleterre, l’un des morceaux qui avec Have Fun (Again) ont les faveurs de Nile Rodgers : « Have Fun (Again) et Now That You’re Gone avaient cette fusion de reggae et de jazz, des changements de temps, tout ce qu’on avait expérimenté durant les répétitions de Chic. Diana Ross a rendu la concrétisation de ces morceaux possible pour qu’on devienne enfin le groupe groove qu’on était. »

Diana Ross Tenderness Pop Music Deluxe

Enfin, Motown pense à Tenderness comme dernier extrait de diana avant de se rétracter. Il sortira cependant dans quelques pays européens couplé (sauf en France) à un medley Diana Ross and the Supremes, mais son succès restera limité (17e en Belgique, 37e aux Pays-Bas et 73e au Royaume-Uni début 1982 lorsqu’il sera extrait de la compilation All the Great Hits).

Célébré par des critiques enthousiastes et élogieuses, diana va devenir l’album le plus vendu de toute la carrière de Miss Ross, s’écoulant à plus de 9 millions de copies dans le monde. Il sera n°2 aux Etats-Unis, n°1 en Suède, n°2 au Danemark, n°5 en Allemagne et dépassera les 100 000 ventes en France. En 2001, l’album sera réédité en incluant pour la première fois en bonus le mixage original de Chic.

Un commentaire

  1. Jamais je n’aurais imaginé que l’enregistrement de ce disque majeur dans sa carrière avait été si rocambolesque. Comme quoi il est parfois bon de remettre en question même les plus grands. Je viens d’écouter le Mix original. C’est vrai qu’il sonne moins bien. Il est moins percutant. Merci pour cet article des plus intéressants.

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