Interview – Monte Kristo : The Girl of Lucifer

En 1985 l’italo-disco est à son apogée, et parmi les Baltimora, Moon Ray ou autres Finzy Kontini, quelques productions françaises tirent leur épingle du jeu. Ce sera le cas de Monte Kristo, produit par Jean-Luc Drion, qui signe notamment les succès de Magazine 60 avec la complicité de Dominique Regiacorte. Le nouveau groupe porté par la voix de Francesco Cherillo fait sensation dès son premier single, The Girl of Lucifer, qui grimpe jusqu’à la 8e place du Top 50 en novembre 1985 et s’inscrit parmi les meilleures ventes de l’année. Le 45 tours suivant, Sherry Mi-Saï, se classe lui aussi en 1986 à la 43e place. Francesco Cherillo revient pour nous sur les origines de Monte Kristo et ses années de gloire.

Quel est votre parcours avant Monte Kristo ? Étiez-vous déjà musicien, chanteur ?

Je suis italien d’origine et je suis arrivé en France quand j’avais une dizaine d’années. J’ai toujours aimé la musique, j’ai toujours joué, j’ai toujours été attiré par les instruments de musique. Le chant c’est venu un peu plus tard, je ne me rendais pas compte que j’avais cette corde-là à mon arc et très vite, vers l’âge de treize-quatorze ans, j’ai intégré des petits groupes dans des soirées, des petites fêtes, on était quatre gamins. Et puis j’ai continué dans cette voie, en changeant de groupe, c’est un peu le même cursus qu’ont pu avoir des gens comme Cabrel, Goldman ou Balavoine, j’ai fait de l’orchestre de bal. J’ai sillonné la France, on était sur les routes tous les samedis et dimanches avec un groupe qui s’appelait Panorama. Et ça a duré comme ça plus de dix ans. C’est avec le chef d’orchestre, qui ensuite a commencé à travailler avec des musiciens de studio, que j’ai fait Monte Kristo. Il m’a appelé et on a continué à se voir et à travailler ensemble en studio et, petit à petit, il y a un titre qui a émergé pour moi.

Qui était cette personne ?

C’est en fait aujourd’hui mon beau-frère puisqu’il s’est marié avec ma sœur, Antonietta, qui était à l’époque avec moi dans Monte Kristo. Cette personne c’est Dominique Regiacorte, qui était le leader du groupe Magazine 60. On faisait des tournées ensemble et c’est lui qui a mis le doigt dans l’engrenage et qui m’a entraîné avec lui. On a rencontré celui qui a composé les chansons de Monte Kristo, Jean-Luc Drion, qui est à la base de tout ça. Mais au début je ne devais pas chanter ça. On me proposait des chansons plutôt nostalgiques dans le style de Frédéric François, mais ça n’était pas trop ma tasse de thé. Et quand de temps en temps j’écoutais ce qu’ils faisaient en prod, je me disais : « Mais voilà, moi c’est ça que je veux chanter ! », et on me répondait : « Ah non, ça c’est pas pour toi, on va faire chanter ça par un Anglais ». Et pour finir ils m’ont quand même fait essayer la chanson qui est devenue la plus connue de Monte Kristo : The Girl of Lucifer. Ils se sont pris au jeu et sont partis la présenter à des maisons de disques et on a eu le choix parce qu’il y en a plusieurs qui étaient intéressées. C’est Scorpio qui a finalement signé cette production mais Jean-Luc Drion, à ce moment-là, leur a dit : « Bon, dans ce cas je vais la faire chanter par quelqu’un qui a un bon accent anglais », et ils lui ont répondu : « Non, non, on veut la personne qui chante sur la maquette ». Et c’est comme ça que ça s’est fait. C’est un coup de bol. Donc on a refait tout ça au propre et les disques ont été mis en place et quelques semaines après le Top 50 nous demandait de faire un clip parce qu’on était frissonnants et qu’il fallait faire très vite. On a donc privatisé une discothèque parisienne, le Métropolis, pour tourner le clip en catastrophe.

Finalement Monte Kristo a été créé pour vous parce qu’ils auraient très bien pu garder la chanson pour Magazine 60 par exemple ?

Oui ça aurait pu, mais Magazine 60 était un groupe avec des mélodies et du chant mais sans chanteur attitré. Il y avait surtout des interventions vocales, des chœurs. D’ailleurs, comme on faisait partie de la même équipe, je faisais aussi des chœurs sur leurs chansons. En revanche, Monte Kristo c’était plus des morceaux qui nécessitaient une voix. Sherri Mi-Saï ou Lady Valentine étaient des chansons pour un chanteur, par pour un groupe avec seulement des chœurs. C’était un produit différent et c’est en ça que les deux groupes étaient bien distincts.

On sait que dans ces projets de producteurs, les gens qu’on voyait sur les pochettes ou à la télé n’étaient pas toujours ceux qui chantaient sur les disques, mais vous vous assuriez les deux ?

Sauf sur le premier parce que Jean-Luc Drion était quelqu’un de méfiant, et puis j’étais jeune à l’époque, et se disait que si jamais je n’étais pas fiable, il fallait pouvoir se retourner, donc la première pochette de disque c’était une tête de femme, comme ça on pouvait toujours me remplacer ensuite si je n’étais pas quelqu’un de sérieux. En revanche les autres c’est bien ma tête sur la pochette avec ma frangine. Le premier titre a bien marché, on avait un directeur artistique de la maison de disques qui nous accompagnait en promo. Moi je ne connaissais pas grand-chose de tout ça et il nous pilotait, il y avait des interviews sur NRJ, on faisait beaucoup de plateaux de télévisions : C’est encore mieux l’après-midi de Dechavanne, Jacques Martin le dimanche, Michel Drucker sur RTL… Il fallait qu’on soit partout et à n’importe quelle heure. Et dès que tu passes à la télé dès le lendemain ça boostait les ventes.

Le disque a été distribué un peu partout. Il y a eu de la promo à l’étranger ?

Evidemment on a fait la Belgique, les discothèques, on a fait le Luxembourg, l’Allemagne… Aujourd’hui je me rends compte de l’impact de cette chanson parce que quand je vais sur Youtube je vois qu’il y a beaucoup de covers. Une fois j’ai même entendu Sherry Mi-Saï sur un marché en Thaïlande ! Et puis il y a beaucoup de DJ qui s’amusent à mixer les chansons des années 80, dont celles de Monte Kristo, avec parfois plus d’un million et demi de vues.

Antonietta et Francesco Cherillo

Ça vous plaisait à l’époque les chansons de Monte Kristo ?

Je dois quand même être sincère, aujourd’hui j’ai 63 ans, à l’époque j’avais 25/26 ans, j’étais content de passer dans les émissions, d’être un peu célèbre, même si je n’ai jamais été accro à ça. Je faisais mon boulot, j’étais disponible pour les autographes. Aujourd’hui j’ai mûri, je ne chanterais pas les mêmes choses, c’était surtout des chansons pour les minettes. C’était l’époque qui était comme ça, il fallait chanter en anglais… On était catalogué italo-dance et il fallait rester là-dedans.

Pourquoi avoir choisi ce nom, Monte Kristo ?

A l’époque, il y avait Patrick Hernandez qui évoluait avec sa canne et donc on voulait faire quelque chose dans le même style, on avait envie d’avoir un objet, quelque chose qui rappelle, mon père avait même fabriqué une belle canne. Et puis on s’est mis autour d’une table pour chercher des noms. C’était l’époque des pseudos, il y avait Niagara, Orchestral Manœuvres In The Dark, donc Francesco et Antonietta Cherillo ça ne le faisait pas vraiment. On avait dû voir la veille à la télé Le Comte de Monte-Christo et on s’est dit : « Ah voilà ça sonne bien ça ! » Et comme on n’avait pas le droit d’utiliser Christo on a mis Kristo et c’est devenu Monte Kristo.

En 1986, le deuxième single, Sherry Mi-saï, va également se classer au Top.

Sherry Mi-Saï a vraiment été écrit pour moi. A ce moment-là on avait un peu plus d’argent. The Girl of Lucifer avait été fait sur un magnétophone à bande huit pistes, c’était du boulot artisanal, mais pour le deuxième on s’est offert le studio Guillaume Tell à Suresnes avec une table de mixage 48 pistes, du bon matériel, on entend d’ailleurs que le son est différent. On a même fait venir des musiciens, des pointures qui avaient joué en tournée avec France Gall, dont notamment un tout petit bonhomme qui jouait de la trompette et qui avait voulu faire des essais à la fin du morceau, on a gardé la prise et c’est resté. On est resté là deux-trois jours pour faire ce morceau.

Lady Valentine, le troisième single, va moins marcher. La même année Jean-Luc Drion en avait d’ailleurs sorti une première version avec une voix féminine.

Lady Valentine c’est un titre que Jean-Luc Drion avait dans ses tiroirs, il avait déjà une idée derrière la tête à l’époque, et il l’a fait chanter par une fille d’ici qui s’appelle France et que je connais très bien, mais ça n’a pas donné le résultat escompté. C’était un peu basique, musicalement ça n’était pas très bien et il m’a dit : « Écoute, on va l’essayer avec toi mais on va tout refaire ». Donc on a repensé toute la musique, c’est devenu un peu plus discothèque et c’est d’ailleurs un des titres que je préfère. Ça passe très bien musicalement et je m’étais amélioré au chant, je n’avais jamais pris de cours, et là j’ai tout donné et c’est dommage que ça n’ait pas fonctionné. Ça a commencé à s’éteindre un peu, on était déjà à deux-trois ans d’existence, parce qu’à l’époque avec un titre on faisait neuf mois ! Lady Valentine on l’a enregistré en Belgique à côté de Bruxelles et entre deux il y avait les tournées, les galas dans toute la France, on ne faisait que ça, les discothèques étaient pleines. C’était une belle époque.

D’autres titres sont enregistrés mais vont rester dans les tiroirs et puis ensuite il y a un changement de label (Carrere) et de style musical pour le quatrième single, La Vie d’un enfant, où là vous enregistrez en français.

C’est moi qui étais à la base de ce projet, j’en avais un peu marre de chanter de l’italo-dance en anglais, j’avais l’impression que quelque part ça allait s’arrêter, je sentais que c’était une mode et que ça n’allait pas durer. Donc j’ai voulu passer à autre chose et j’ai demandé à Jean-Luc d’écrire quelque chose en français sur un sujet actuel. A l’époque il y avait l’histoire de la petite Omayra qui s’était retrouvée coincée sous des décombres en Colombie, qui n’avait pas pu être sauvée et qui est morte. Jean-Luc Drion m’a dit : « On va écrire sur ce qui se passe dans le monde », et cette chanson c’était un peu ça, pour tous ces gens à qui il arrive ce genre de malheur. Chez Carrere ils adoraient le morceau mais je pense qu’ils ne s’en sont pas occupé, ils n’ont pas eu le temps. Ça n’a pas fonctionné, peut-être que le titre n’était pas bon.

Francesco Cherillo en 2017

Ça signait la fin de Monte Kristo.

Après j’ai continué à faire quelques galas mais ça n’était plus pareil. Mais ça n’est pas parce que ça s’est arrêté que j’ai commencé à déprimer. Avant ça j’avais un boulot, parce que je ne vivais pas de la musique, et quand il a fallu embrasser cette carrière artistique j’ai démissionné pour m’adonner à ma passion et le faire à 100 %. À l’époque pour les prestations de Monte Kristo on facturait plus de 20 000 francs, ce qui n’était pas mal, plus les frais de déplacements. Puis ensuite ça a été un peu moins, j’ai fait quelques tournées dans le nord avec des artistes comme Patrick Topaloff. Quand j’ai vu que c’était calme plat je suis reparti dans ce que je faisais avant et j’ai trouvé un boulot de directeur commercial chez un gros transporteur, jusqu’à ma retraite. Depuis cinq ans j’ai mon studio d’enregistrement, je travaille avec des compositeurs qui sont partout en France, qui m’envoient des musiques sur lesquelles je pose ma voix, parfois je fais des voix off pour des publicités, je compose un peu mais je suis conscient que l’époque est tellement difficile que je n’insiste pas. Monte Kristo a été une super expérience, j’ai rencontré beaucoup de personnes sympathiques, beaucoup de célébrités : Goldman, Aznavour, Jane Birkin, Jean-Claude Carrère, Sardou… Je discutais de temps en temps avec ces gens-là. C’était vraiment une belle expérience que je souhaite à tous les gens qui veulent être artistes parce que c’est un milieu très compliqué et difficile. Je touche encore aujourd’hui des droits d’interprètes parce que les titres de Monte Kristo passent toujours et c’est sympa.

Propos recueillis le 1er mars 2021

Le best of 2 CD de Monte Kristo, incluant inédits, versions longues et instrumentales, est disponible chez CD rare !

5 commentaires

  1. Pour les fans de Monte Kristo, achetez ce best of, il est superbe, toutes les versions rares et remix sont présentes avec un son d’enfer.Interview intéressante de Francesco CHERRILLO, pas d’accord avec lui quand il dit que ce sont des chansons pour les minettes, Monte Kristo avait son public féminin mais également masculin, ma préférée : LADY VALENTINE

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    • Bonjour Didier !! Tu as raison, c’était une autre époque et l’insouciance de notre âge nous laissait libre cours à une écriture légère qui plaisait aux filles et aux garçons. Et je précise que je ne regrette rien de cette expérience. Simplement, la maturité de l’âge et les sujets de la vie actuelle sont si nombreux et tellemellement importants que l’on peut se permettre d’écrire des textes engagés. Un chanteur peut faire rêver, biensûr, mais il peut aussi servir des causes nobles avec des textes forts. C’est que je souhaite aujourd’hui.

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  2. Bonjour Franceso,
    C’est très sympa d’avoir répondu à mon post.Moi j’étais fan de MONTE KRISTO et j’ai trouvé dommage que cela s’arrête au bout de 3 ans.Les titres THE GIRL OF LUCIFER, SHERRY MI SAI et LADY VALENTINE ont très bien marché aussi bien sur les radios FM à l’époque que dans les clubs discothèques.Les différentes versions de LADY VALENTINE sont excellentes et une version que j’apprécie énormément c’est celle qui figure sur le BEST OF de 2010 (LADY VALENTINE – version Piano, la chanson n°19 sur le CD1).Dans l’interview, il est écrit que d’autres titres sont restés dans les tiroirs avant le changement de maison de disques, cela aurait été bien de les voir figurer sur cette compilation même si celle-ci est déjà très complète et on félicitera au passage le travail de masterisation fait par Arnaud RALITE pour nous proposer une telle qualité sonore.
    Avez-vous été sollicité pour faire une tournée type RFM PARTY 80, STARS 80 etc, auriez-vous été prêt à remonter sur scène pour chanter vos succès en France lors d’une telle tournée ou en Italie avec des tournées italo-disco ?
    Bonne continuation à vous et un grand merci à POP MUSIC DELUXE d’avoir réalisé cette interview qui nous replonge dans notre jeunesse même si je n’ai jamais arrêté d’écouter la musique de cette décennie.

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  3. Salut Francesco,
    Je vous écris en utilisant le traducteur Google d’Argentine, car je ne parle pas français.
    Je veux vous dire qu’ici en Argentine il y a un public fidèle qui consomme la musique de Monte Kristo, à l’époque où Lady Valentine était dansée plus que tout, mais Girl of Lucifer ou Sherry mi Sai sont aussi d’excellentes chansons que nous incluons ici dans le genre Eurodisco, avec Fancy, Silent Circle, Joy et autres …
    Salutations également à qui est en charge de cette page, et qui apporte de si bonnes interviews et données pour ceux d’entre nous qui aiment ce type de musique.

    Les salutations!

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