Karen Cheryl – Si…

En 1980, Karen Cheryl, sous l’impulsion de son producteur Humbert Ibach, a largement rattrapé des débuts quelque peu hésitants dans une variété guimauve qui semblait la mener à l’impasse, en se réinventant en reine du disco grâce à une poignée de tubes bien troussés enregistrés aux États-Unis (Sing to Me Mama, Show Me You’re Man Enough ou encore Tchoo Tchoo). Un succès désormais indéniable qui permet à la jeune chanteuse de se voir offrir son propre Numéro 1, émission phare diffusée sur TF1 et produite par les Carpentier qui lui réclament pour l’occasion des chansons en français. Mais après avoir financé le troisième album américain de Karen, Ibach se retrouve au bord de la faillite après un mauvais investissement imputé à son associé. « Comme je n’avais plus l’argent pour faire un titre en français, on a décidé de reprendre les bandes américaines et de poser la voix en français dessus », dira Ibach à Platine en 1993. Deux tubes récents, Show Me You’re Man Enough et Sing to Me Mama, sont donc réenregistrés et deviennent, sous la plume de Claude Lemesle, La Marche des machos et Chante pour nous mama. L’émission diffusée le 8 août est un tel succès qu’on décide de sortir les deux chansons sur un 45 tours qui cartonne en dépassant les 300 000 exemplaires. 

Mais au moment où Ibach s’apprête à sortir le troisième album disco de Karen Cheryl, il reçoit une terrible nouvelle comme il le raconte à Jérôme Anthony pour son ouvrage L’Âge d’or du disco en 2017 : « En 1980, je suis convoqué par les programmateurs d’Europe 1 qui m’annoncent qu’ils ne diffuseront plus de disco car la mode est prétendument en train de passer. » Il faut donc faire une croix sur l’album déjà mis en boîte tout en continuant à enregistrer en français, aux vues des récents scores établis par la chanteuse. Ibach sauve tout de même une ballade composée par Claude Morgan, I Hope It’s Me, une idée qui lui aurait été soufflée par sa belle-fille Douchka, à qui il a l’habitude de demander son avis afin d’évaluer les goûts du jeune public. Pour l’occasion, Ibach demande à Didier Barbelivien, qui n’a encore jamais écrit pour Karen Cheryl, de greffer un nouveau texte sur la chanson. Déclaration d’amour sous forme hypothétique à un homme idéal, la ballade devient Si et bénéficie de toute l’ampleur et des cordes de la production américaine et des arrangements de Jean-Claude Petit. Interprétée pour la première fois en télévision le 10 décembre 1980 dans Palmarès 80 sur Antenne 2, le 45 tours est en bacs depuis le 25 novembre. Sur la face B, Docteur menteur est une adaptation, par Claude Lemesle, de Buena, un titre de Joe King Carrasco & The Crowns sorti la même année. Dès début janvier 1981, Si se classe parmi les vingt meilleures ventes de 45 tours en France et se hisse dans le top 3 en février et en mars, dépassant les 600 000 ventes, soit le plus gros succès de toute la carrière de Karen Cheryl et l’une des vingt meilleures ventes de l’année.

L’album qui sort en même temps que Si est donc enregistré dans sa totalité en français et en seulement une semaine : « Je faisais une course contre la montre avec mes créanciers », dira Ibach. Gageons qu’il eut bientôt de quoi se refaire. Il sort d’ailleurs en avril une compilation des années américaines puis le 45 tours de I Hope It’s Me, la version originale de Si, avec More and More en face B (probable autre rescapé de l’album abandonné), qui atteint les 50 000 ventes*.

Si l’évolution de la chanteuse est alors plus en accord avec ses envies, elle se sent néanmoins rapidement enfermée dans un personnage un peu limité, elle qui revendique son amour du jazz et de la poésie. Reflets de la jeunesse et d’une certaine chanson populaire, les chansons de Karen Cheryl sont pourtant utilisées comme bande-son de deux films importants cette année-là, mettant tous deux à l’honneur Catherine Deneuve : Le Choix des armes d’Alain Corneau, où l’on peut entendre Si, et Hôtel des Amériques d’André Téchiné, où Sing to Me Mama et Tchoo Tchoo sont utilisés pour une séquence en discothèque. 

1981 est décidément une année couronnée de succès pour la chanteuse qui vend plus de 400 000 exemplaires du 45 tours Les Nouveaux Romantiques, adaptation en français du tube de Ricchi e Poveri, Sarà perchè ti amo, qui se vend à plus d’un million d’exemplaires la même année. En 1982, c’est Oh chéri chéri qui grimpe jusqu’aux premières places des ventes et décroche un disque d’or, tout comme l’album éponyme. Ce sera pourtant l’un des derniers vrais succès de Karen Cheryl. 

Elle continue pourtant à enregistrer, notamment un album pour enfants, et joue dans le film J’ai rencontré le père Noël. Elle refuse un contrat qui la lierait à Disney pour un rôle d’ambassadrice qui échouera finalement à la toute jeune Douchka, nouvelle protégée d’Ibach. Libérée d’un contrat de dix ans avec son producteur, elle enregistre en 1985 quelques 45 tours chez WEA mais sans faire de vagues. Seul À l’envers à l’endroit, qui sort chez Polydor en 1987, lui permettra de renouer avec un succès d’estime. Mais, pleine de ressources, Karen s’oriente vers la télé, présente l’émission Vitamine sur TF1 et joue dans la série La Lucarne d’Amilcar

Dans les années 90, elle anime le jeu à succès Hugo Délire puis se voit confier des rôles récurrents dans des sitcoms entre 1995 et 1998 : Les Filles d’à côté et Ma voyante préférée. Plus tard journaliste sur Europe 1 (actuellement dans sa propre émission Il n’y a pas qu’une vie dans la vie les samedis et dimanches à 15 h), elle est également animatrice d’émissions télé telles Les Grands du rire, Les Années bonheur, ou plus récemment chroniqueuse dans Bel & Bien.

Si elle se laisse parfois aller à reprendre ses anciens succès lors de certains événements, Karen Cheryl, qui a repris son nom de naissance, Isabelle Morizet, semble avoir définitivement tourné la page de la chanson. Aucune compilation de ses tubes en CD n’a été éditée depuis 1993, au grand regret de ses fans.

*merci à Fabrice – Top France

8 commentaires

  1. Dingue ! Je pensai que « Pense à moi quand même » en 1983 avait été un succès vu le nombre de promos qu’elle a fait. Le titre est vraiment dans l’esprit de « Oh chéri, chéri » et des « nouveaux romantiques ». Seule la couleur de la robe changeait !

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  2. Qu’est-ce que j’ai pu l’écouter, celle-là, et plus encore la face B, « Docteur menteur » ! Bon, j’avais une dizaine d’années, et le disque m’avait été donné (pas offert, car j’ai senti qu’on s’en débarrassait…) par une tante. Est-ce que j’ai honte d’aimer ces titres ? Presque pas ! Je n’écoute pas ces chansons pour leur texte (quoique je trouve celui de « Si » plutôt bien troussé). Et, quelques années plus tard, j’ai découvert ses tubes disco, que j’écoute toujours de temps en temps !

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  3. Article très intéressant. J’ignorais que le 3e album disco avait été enregistré. Il y a donc des titres inédits jamais sortis ?
    Je ne pense pas que « Docteur menteur » soit rescapé de cet album. Il s’agit d’une adaptation de « Buena » de Joe King Carrasco. Par contre « Baby doll »,adaptée par Barbelivien sur une musique de Claude Morgan, est certainement l’autre chanson reprise de ce 3e album disco.

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    • Si on en croit Ibach le troisième album américain a bien été enregistré et il y aurait en effet des inédits.
      Concernant « Docteur menteur » vous avez peut-être bien raison, c’est vrai que la production de « Baby Doll » semble plus soignée, mais c’est difficile à dire. Il y a peut-être d’ailleurs d’autres adaptations de cet album inédit dans l’album de 80…
      Et que dire de « Feeling » qui sort de nulle part en 84 ?

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      • Je ne pense pas, car sinon il y aurait eu la mention « adaptation » comme pour « Docteur menteur » et « Baby doll » sur la pochette.

        Un album bien réalisé avec des textes pas idiots qui aurait mérité d’être mieux exploité. « Interdit » a un petit côté rock et aurait pu emmener la carrière de Karen vers quelque chose de plus intéressant que les sucreries des adaptations latines amorcées par « Docteur menteur » et déclinée à répétition par la suite.

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  4. An Karen… On peut presque dire que sa seconde partie de carrière de chanteuse a presque été un accident. On aurait presque tendance à l’oublier mais elle faisait partie de ces chanteuses qui ont dominé les ventes au début des années 80 !
    Puis, n’oublions pas l’exploit de pouvoir cartonner deux fois avec la même chanson (certes dans deux langues différentes) à seulement un an d’écart. De mémoire, ça ne s’est jamais reproduit, ou alors de très faibles fois.

    Pour « Feeling », la sortie du 45T était contractuelle. Après le refus de Karen de poursuivre la promotion du 45T « Vive les hommes » suite à son conflit l’opposant à Ibach, ce dernier a décidé de sortir ce titre rescapé des sessions disco de 1980. Il en profita pour sortir une 70e compilation inutile de la chanteuse, espérant sans doute se faire de l’argent facilement. Raté pour le coup.

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