
Les années 80 sont des années d’émancipation pour la chanteuse Cher. Sa carrière d’actrice, débutée sérieusement en 1982, prend son envol de film en film et lui rapporte un Golden Globe, un prix d’interprétation à Cannes et, finalement, la consécration suprême avec l’Oscar de la meilleure actrice pour Eclair de lune, sur les écrans en 1987. Musicalement, sa carrière est en berne depuis les années disco, mais elle se réinvente en diva du rock et sort chez Geffen (qui fut son compagnon dans les années 70) l’éponyme Cher en 1987 qui renoue avec le succès.
En 1989, un nouvel opus est dans les tuyaux et l’on y retrouve à nouveau aux manettes l’équipe qui avait fait du précédent disque un succès : Michael Bolton, Jon Bon Jovi, Desmond Child, Jon Lind, et la faiseuse de tubes Diane Warren, on ne change pas une équipe qui gagne !

En février 1989, c’est un premier avant-goût de l’album qui est lancé sans vraiment en dévoiler la couleur puisqu’il s’agit d’une ballade écrite par Tom Snow et Dean Pitchford pour le film Chances Are (Le ciel s’est trompé). Les deux auteurs sont invités sur le tournage du film par le réalisateur Emile Ardolino afin qu’ils puissent ressentir l’intensité dramatique nécessaire à la chanson et la façon dont elle va s’insérer dans le déroulé. Inspirés et motivés comme jamais, les deux garçons (qui ont déjà travaillé ensemble pour Diana Ross, Dusty Springfield ou encore la B.O. de Footloose) ont bien l’intention d’écrire un tube et, pourquoi pas, de s’offrir une nomination aux Oscars. After All, la ballade romantique dont les paroles s’inspirent directement du film, doit être interprétée par Peter Cetera (ancien du groupe Chicago) en duo avec une voix féminine. Le morceau tombe dans les oreilles de Cher qui en devine immédiatement le potentiel et fait des pieds et des mains pour intégrer le projet. La partie vocale de Cetera est déjà en boîte lorsque la chanteuse enregistre la sienne et le 45 tours est dans les bacs alors que les deux interprètes ne se sont pas rencontrés. Annoncé comme « extrait du prochain album de Cher » (qui n’a pas encore de nom) au dos de sa pochette, After All est couplé à Dangerous Times, un titre de l’album précédent. Un maxi 45 tours recyclera lui aussi deux chansons déjà parues, I Found Someone et Main Man. N°6 du Billboard, After All est un tube certifié disque d’or aux Etats-Unis qui décroche également une nomination aux Oscars dans la catégorie Meilleure chanson originale. Mais ni Cher ni Peter Cetera ne viendront interpréter la chanson ce soir-là et c’est James Ingram et Melissa Manchester qui seront chargés de la défendre, la victoire allant finalement à Under the Sea, extrait de La Petite Sirène des studios Disney. Bien qu’interprétée à de nombreuses reprises lors de ses concerts, Cher ne chantera jamais After All avec Peter Cetera.
If I Could Turn Back Time

Avec un tube de plus en poche, Cher peut désormais se concentrer sur la sortie de son nouveau disque, Heart of Stone, qui continue d’explorer la veine rock qui semble lui réussir. If I Could Turn Back Time en est le second single et sort en juin, quelques jours avant l’album. Ce qui va devenir son plus gros succès de la décennie, et ce jusqu’à la sortie de Believe en 1998, est initialement une chanson qu’elle déteste. Ecrite et composée par Diane Warren, elle est maquettée par l’autrice qui la fait écouter à Cher qui refuse catégoriquement de l’enregistrer. Mais Warren insiste, s’agrippe littéralement à la jambe de la chanteuse en lui disant qu’elle ne la lâchera pas tant qu’elle n’aura pas fait au moins un essai sur sa chanson en studio. Cher raconte : « Elle m’a dit : je paierai pour que tu le fasses. Et c’est vraiment la fille la plus radine du monde alors si elle était prête à faire ça c’est qu’elle devait vraiment y croire, donc je l’ai fait. Je suis entrée en studio et ça s’est fait tout seul ». Diane Warren se souvient qu’au moment de l’enregistrement Cher lui a lancé un regard pour lui signifier qu’elle avait raison, que la chanson était un tube. Et en effet, ce soft rock dont le texte décrit l’histoire d’une femme qui fait son mea culpa à celui qu’elle aime et qu’elle a blessé par orgueil, devient le hit de l’été porté par un clip iconique (dans lequel son fils Elijah joue de la guitare). Tourné à bord du cuirassé USS Missouri début juillet, Cher y donne un concert à l’équipage dans une tenue qui ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination ! Un costume excentrique et provoc qui choque MTV (visiblement bien plus que les allusions sexuelles et autres symboles phalliques qui ponctuent la vidéo) au point de ne diffuser If I Could Turn Back Time que le soir après 21 h. Un petit scandale qui évidemment ne fait qu’amplifier l’intérêt du public pour la vidéo. « Je n’avais pas l’intention de choquer quiconque avec cette tenue, c’est le même genre de chose qu’on peut voir à la plage vous savez, rien de plus », dira-t-elle à Diane Sawyer. A la question de ce qui la choque, elle répondra : « Les présidents qui ne disent pas la vérité. J’aimerais mieux voir quelqu’un nu qui dit la vérité et qui a un sens de la morale, se sent concerné par le droit de chacun à l’intimité, le droit au logement, que de me soucier du nombre de vêtement qu’il porte. » Comme c’était déjà le cas pour After All, Cher n’apparaît pas sur la pochette de If I Could Turn Back Time. La chanson paraît en 45 tours dans une version légèrement remixée, laissant entendre une guitare électrique non présente sur le mix d’origine, avec un inédit en face B, Some Guys, produit par Desmond Child et bien meilleur que certains morceaux retenus pour l’album. Sur le maxi 45 tours est ajouté Kiss to Kiss (présent sur l’album) et sur le maxi CD I Found Someone (tube de l’album précédent). If I Could Turn Back Time atteint la 3e place du Billboard, décroche un disque d’or, et devient également un tube en Europe (n°4 aux Pays-Bas, n°6 au Royaume-Uni et en Belgique, n°11 en Suède…).
L’album Heart of Stone sort dans la foulée, tout d’abord illustré par une toile d’Octavio Ocampo qui semble représenter la chanteuse assise près d’un rocher en forme de cœur. Mais à y regarder de plus près (ou de plus loin), l’illustration donne l’illusion d’un crâne humain de profil. Une image morbide qui sera remplacée rapidement par une photo plus conventionnelle de la star où elle forme un cœur avec ses mains jointes.
Just Like Jesse James

Le troisième extrait de l’album sort en octobre et la maison de disques opte pour le country-rock Just Like Jesse James, signé Diane Warren et Desmond Child. C’est à nouveau une chanson qui n’a pas vraiment les faveurs de la chanteuse : « Je n’ai jamais vraiment aimé cette chanson mais je l’ai faite et puis je suis partie (des Etats-Unis, N.D.L.R.), je n’ai pas fait de clip, rien. Et puis je suis revenue et c’était un gros tube et je me suis dit : mon Dieu, cette chanson est un peu naze mais c’est un tube ! ». Cet hommage au célèbre bandit américain Jesse James est en effet un succès et son troisième single consécutif à se classer dans le top 10 du Billboard où il reste à la 8e place pendant quatre semaines. Pas de clip donc, et peu d’efforts pour le 45 tours qui se contente en face B de reprendre une chanson de l’album, Starting Over. Les maxis (vinyle et CD) ajoutent (à nouveau !) le tube I Found Someone, pas de quoi faire vibrer les fans. On note tout de même que le Royaume-Uni, où Jesse James se classe 11e, édite un maxi 45 tours picture en 1990. Jesse James reste toutefois un classique du répertoire de Cher qu’elle continue à interpréter lors de ses concerts, pour faire plaisir aux fans.

Heart of Stone, le morceau qui donne son titre à l’album, est le single suivant, et le dernier pour les Etats-Unis. Il s’agit cette fois d’une chanson que Cher aime beaucoup et qui, selon ses propres mots, « la caractérise ». Heart of Stone est pourtant une reprise du groupe anglais Bucks Fizz, gagnant de l’Eurovision en 1981, écrite par Andy Hill et Pete Sinfield. Parue en 45 tours au Royaume-Uni en octobre 1988, la version Bucks Fizz n’atteint que la 50e place des classements. La version Cher, produite par Peter Asher, est assez similaire tout en paraissant plus fluide et plus incarnée par la chanteuse qui y fait preuve d’une ampleur vocale remarquable. Chanson douce-amère sur les désillusions (des idéaux, de l’amour), Heart of Stone a droit à un traitement spécial pour sa mise en avant en avril 1990 alors que Cher vient d’entamer sa nouvelle tournée, le Heart of Stone Tour. Tout d’abord, un clip est tourné. D’une grande simplicité, la chanteuse y apparaît devant des écrans qui diffusent des images de sa vie (en famille, avec ses anciens compagnons…) qui sont ensuite remplacées par des images du monde (hommes politiques, images de foule, de concerts, de manifestations…). Comment rester insensible devant les injustices qui font chaque jour la une des journaux ? « Est-ce que tu ne souhaites pas parfois avoir un cœur de pierre » ? Heart of Stone sort dans une version légèrement remixée par Richie Sambora (Bon Jovi), le petit ami de la chanteuse. Outre un coup de cloche sur l’intro, on note surtout quelques guitares supplémentaires et des chœurs bien plus présents. Un petit lifting qui rend le titre encore plus efficace s’il n’en était besoin. Couplé à All Because of You (également extrait de l’album) en 45 tours, Heart of Stone ajoute sur le maxi un titre de l’album précédent, Working Girl. A nouveau, un maxi 45 tours picture est pressé au Royaume-Uni où Heart of Stone se classe 43e, contre une 20e place aux Etats-Unis.

Enfin, un dernier single paraît, en Europe et en Australie uniquement, le très réussi You Wouldn’t Know Love, écrit par Diane Warren et Michael Bolton. Un succès très relatif puisque la chanson ne se classe que 55e au Royaume-Uni en août 1990, bien qu’elle serve surtout à promouvoir la tournée locale de l’artiste qui démarrera le 14 octobre. Chant d’un amour torturé, You Wouldn’t Know Love sera également enregistré sur un arrangement quasi identique par son compositeur Michael Bolton sur son album Soul Provider qui sort en juin 1989, le même jour que Heart of Stone. Au rayon des supports singles, peu de chose à signaler : à nouveau un extrait de l’album en face B (Kiss to Kiss), un maxi auquel on ajoute Bang, Bang (version 87) et le remix de Heart of Stone, et puis un EP limité spécial « hits » au Royaume-Uni au format 45 tours et sur lequel on trouve I Found Someone (on ne s’en lasse pas…) et les récents remix de If I Could Turn Back Time et Heart of Stone.
Résolument rock et résolument tourné vers l’exploration des différentes facettes du sentiment amoureux, l’album Heart of Stone (ou « Cher, amour et rock’n’roll ») est un disque homogène sans être répétitif. Sur les douze chansons qui le composent, outre les très bons cinq titres extraits, on trouve encore d’autres moments réussis. Love on a Rooftop est l’un d’entre eux. Signé Diane Warren et Desmond Child, il était déjà présent sur l’album Unfinished Business de Ronnie Spector en 1987 qui ne connut pas le succès escompté. La version Cher, réalisée par Peter Asher, nous semble musicalement plus aboutie, et l’on y voit même un clin d’œil aux productions de Phil Spector (sur lesquelles Cher commença sa carrière en tant que choriste !). Un morceau qui aurait fait un très bon choix de single, notamment en période de Noël avec ses clochettes festives. Desmond Child lui-même en enregistrera sa propre version sur son unique album solo Discipline, en 1991, et en fera un top 40 au Billboard.
Autre morceau de choix, le très musclé Emotional Fire, composition Warren/Child avec Michael Bolton aux renforts (qui n’avait pas retenu la chanson pour son album Hunger) ainsi qu’une certaine Bonnie Tyler aux chœurs (bien qu’honnêtement, même en tendant l’oreille, on n’arrive pas à distinguer sa voix de l’ensemble). Il faut dire que le revirement de Cher vers le rock au milieu des années 80 doit sans doute un peu au succès de sa camarade galloise avec Faster Than the Speed of Night en 1983. Depuis, Cher n’a de cesse de lui faire part de son admiration, l’invitant sur Perfection en 1987 et reprenant Save Up All Your Tears (single de Tyler en 1988) sur Love Hurts en 1991.
A l’origine, une démo de Bon Jovi non retenue pour l’album New Jersey en 1988, Does Anybody Really Fall in Love Anymore? (Bon Jovi/Sambora/Child/Warren) offre à Cher un refrain efficace que la voix de la chanteuse sait mettre en valeur, soutenue par des chœurs très présents, comme c’est d’ailleurs le cas sur l’ensemble de l’opus. Repris par le hard-rockeur Kane Roberts en 1991 (et produit par Desmond Child, avec qui décidément les bonnes chansons ne se perdent jamais !), Does Anybody grimpera en 38e place du Billboard.
On n’échappe pas cependant à un certain sentiment de remplissage et les quatre titres restants (notamment les deux productions de John Lind, All Because of You et Kiss to Kiss), nettement plus faibles, font peu impression.
Outre l’inédit Some Guys qui apparaît sur le single If I Could Turn Back Time, un autre titre maquetté pour l’album mais non retenu fera son apparition sur la compilation américaine If I Could Turn Back Time – Cher’s Greatest Hits en 1999. Don’t Come Cryin’ To Me, écrit par Diane Warren, sera remixé pour son inclusion sur le CD. Mais la chanteuse, n’ayant pas été consultée, exigera le retrait du morceau.
Confirmant le virage musical d’une artiste qui ne cesse de se réinventer depuis les années 60, Heart of Stone restera classé 53 semaines au Billboard (avec une 10e place comme apogée et un triple disque de platine) et 83 semaines au Royaume-Uni (une 7e place à la clé et un disque de platine) ! Le succès en Europe continentale est moins retentissant et en France le disque passe relativement inaperçu, il faudra attendre pour cela l’album suivant et le succès de The Shoop Shoop Song et de Love and Understanding pour rappeler aux bons souvenirs des Français l’incroyable interprète que reste la fascinante Cher.
Je viens juste de tomber sur cet article moi qui suis fan de Cher, mais malheureusement on doit pas être assez comme moi en France pour que sa tournée Européenne passe par Paris à la rentrée … 😦
C’est un régal de vous lire ! j’ai appris tellement de choses que « Heart of stone » était une reprise !
les versions différentes sur les singles, maxi etc… quelle mine d’or d’informations ! En espérant d’autres articles sur d’autres albums tellement cela est passionnant !
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Votre message nous fait très plaisir Florian ! Eh oui, on aime décortiquer nos albums préférés ! 😉
On regrette aussi qu’elle ne passe pas par la France pour sa prochaine tournée… qu’on espère ne pas être la dernière !
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