Lio – Premier album

Lio premier album Pop Music Deluxe

Lio a tout juste 18 ans lorsque paraît son premier 33 tours en 1980. La jeune chanteuse est déjà une vedette grâce au succès d’un premier 45 tours pop explosif, sorti quelques mois plus tôt, qui a su convaincre non seulement un public très jeune mais également une audience plus avertie avec son texte aussi osé qu’acidulé : Le Banana Split. « J’ai quitté le Portugal pour la Belgique à l’âge de six ans, avec ma mère et mon beau-père. Ma première angoisse, qui a duré onze ans, a été l’école, parce que je ne savais pas parler le français. Etrangère, je n’avais pas de copains. Les filles me jalousaient parce que je travaillais bien, et que les garçons me trouvaient jolie », raconte-t-elle à l’époque. Une enfance qui a fait grandir la petite fille peut-être plus vite que les autres. Consciente de sa différence mais aussi de ses charmes, c’est la compagnie des hommes qu’elle va rechercher alors, parfaite petite lolita qui n’a déjà pas sa langue dans sa poche et refuse qu’on la prenne pour une oie blanche : « A onze ans, je lisais Marx et Lénine ; je regardais les informations à la Tv et je me passionnais pour les livres politiques. Hélas ! je suis à l’âge où je ne suis plus assez jeune, et où je serai bientôt trop vieille. J’ai l’impression que j’ai toujours été adulte. »

L’entrée en chanson va se faire par l’intermédiaire d’un complice, futur pygmalion, en la personne d’Eric-Pierre Verwilghen, alias Hagen Dierks, alias Jacques Duvall. Ce dernier travaille à la médiathèque de Bruxelles avec la mère de Lio et se lie d’amitié avec la famille chez qui il vient dîner de temps en temps. Duvall écrit des chansons, et notamment un 45 tours pour la chanteuse Marie France qui sort en Belgique en 1977 sur des compositions d’un Français, un certain Patrick Arondel, alias Jay Alanski. Ce dernier a déjà sorti un album en 1971 avec le groupe Season, puis formé le duo The Beautiful Losers dont l’unique album en 1976 passe par les oreilles de Duvall qui va lui écrire de Belgique pour lui dire son admiration. « J’ai rencontré Jay Alanski dans un tout petit magasin rue des Lombards pas loin des Halles à Paris, l’Open Market. Nous avions en commun cette musique assez difficile à trouver. Et nous trouvions dans cette boutique des imports américains et plein de choses introuvables ailleurs. (…) On rêvait. Il y avait entre nous quelque chose de beaucoup plus fort que des collègues de bureau », confiait-il à Idoles Mag en 2011. C’est donc naturellement que ces deux-là commencent à travailler ensemble sur des chansons, dont la première interprète sera Marie France. « Les 45 tours de Marie France n’ayant pas marché, nous avons écrit une quarantaine de chansons toujours en quête d’une chanteuse », explique Alanski à Platine en 1993.

Le Banana split

Lio commence à grandir et à s’affirmer, et Duvall à la regarder d’un autre œil. Il lui propose de chanter après l’avoir entendue fredonner du France Gall. Candide mais pleine d’audace, Lio se lance dans l’aventure : « Je voulais chanter, j’avais décidé que j’étais faite pour cela. J’ai fait mon premier disque, en dépit de ceux qui me riaient au nez et des humiliations. » Le duo se rend donc régulièrement à Paris, chez l’ami Jay Alanski, où ensemble ils concoctent quelques maquettes de fortune : « Pour cent francs, on avait acheté un petit magnétophone avec micro incorporé que je tenais près de ma bouche pendant que Jay jouait de la guitare. J’avais 14 ans. » (Platine) Parmi les premières chansons enregistrées, il y aura Bébé vampire, un texte qui plaît particulièrement à Lio et qui se retrouvera sur l’album. Puis vient l’inévitable démarchage des maisons de disques en France qui, de 1977 à 1979 ne va rien donner. Un nouvel échec chez EMI Belgique leur permet tout de même de rencontrer le responsable des éditions musicales, Jan d’Haese, qui s’intéresse à leur travail mais préfèrerait leur confier une chanson de son catalogue à adapter, pour lancer la chanteuse. « De toutes les chansons proposées, celle que Vanda et moi préférions était un morceau des Ikettes, les choristes de Ike et Tina Turner, qui s’appelait Peaches and Cream et qui comportait donc exactement cette métaphore fruito-sexuelle. J’ai voulu m’en inspirer, mais au lieu d’intituler mon texte Pêche melba, je l’ai appelé Banana split », se remémore Duvall au site Lalalala.org. « Quand il l’apprend, Jay Alanski nous fait une scène terrible, on se fait traiter se social-traîtres, de vendus à l’industrie discographique : « Je suis avec vous depuis le début, je compose toutes les chansons et vous allez faire une reprise plutôt qu’un original ? C’est nul ! » On lui a dit : « Tu n’as qu’à faire mieux que la mélodie d’origine », relate Lio dans son autobiographie Pop Model.

Lio Banana Split Pop Music Deluxe

Le Banana split était donc né, mais Lio toujours sans maison de disques. Ce sera pourtant affaire conclue en octobre 1979, mais pas pour les raisons qu’on croit. Suite à des bénéfices importants prévus pour le bilan de fin d’année, la branche belge d’Ariola doit investir sur des artistes locaux afin d’échapper à une fiscalité trop lourde. Il faut donc signer des artistes belges avant la fin de l’année, une aubaine pour Lio (qu’on appelle encore de son prénom Vanda) qui se trouve là au bon moment avec son 45 tours Le Banana split, qui n’a pourtant les faveurs de personne au sein du label. C’est donc contre toute attente, et avec surprise, qu’Ariola va voir les ventes de la chansonnette commencées à s’envoler. L’objectif suivant sera de convaincre la filiale française de jouer le jeu aussi, mais à nouveau Lio se heurte à la condescendance des responsables français qui, eux non plus, ne croient pas du tout à sa chanson. C’était pourtant compter sans l’aide providentielle de Monique Le Marcis, programmatrice musicale de RTL qui fait la pluie et le beau temps sur le paysage musical hexagonal, qui commence à passer Le Banana split régulièrement. Contraints désormais de jouer le jeu de la promotion, Arabella, la branche française d’Ariola, programme les premières télés de Lio. L’engouement ne se fait pas attendre et, après la mise en ondes de la chanson fin janvier 1980, Le Banana split se glisse dans les vingt meilleures ventes de disques en France fin mars avant d’atteindre la première place en mai. Les discothèques s’en donnent aussi à cœur joie, notamment grâce à la « Long disco version » éditée en maxi 45 tours. Pop song sautillante, dessert sucré et bien plus encore, ce Banana split séduit plus de 700 000 acheteurs en France, véritable phénomène qui terminera dans les dix meilleures ventes de l’année et recevra un disque d’or. Et si l’on compare ces bananes aux sucettes de France Gall, Jacques Duvall dira : « mais la différence, c’est que la jeune Lio savait très bien ce qu’elle faisait. D’ailleurs le tabou à ce moment-là n’était pas le sous-entendu sexuel, qui n’a choqué personne, mais le fait qu’on puisse faire une chanson sur une chose aussi bête qu’une banane. C’est plutôt la futilité qui a choqué… » (Lalalala.org) Lio charme alors un public composé d’adolescents, à l’image de la face B du premier 45 tours intitulée Teenager qu’on ne retrouvera pas sur l’album.

Sage comme une image

Ariola n’a signé Lio que pour un single, avec une option non encore négociée pour un album. Et le succès du Banana split est l’occasion pour la jeune femme de faire jouer le rapport de force en sa faveur : « Je trouvais tellement injuste qu’on ne me donne pas ma chance pour un album, que quand on a discuté ensuite, je les ai fait payer. Je n’ai pas pris beaucoup d’argent, mais quand je pense à ce que j’aurais pu gagner, je me dis que j’étais une tendre. Je ne connaissais rien à ce métier ! » (Platine)

Mais en attendant l’album, c’est un second 45 tours qui paraît en Belgique, le savoureux Sage comme une image (avec en face B Sweet sixtine) qui ne va pas connaître le même destin malgré une composition rudement efficace. Ce sera seulement une 30e place en août 1980 dans les charts en Flandres (la Wallonie n’a pas encore son classement officiel des ventes) et les deux chansons seront écartées du premier 33 tours. Elles seront cependant recyclées un peu plus tard, en 1982 pour l’album Suite sixtine réalisé uniquement pour le Canada et qui contiendra également sept chansons du premier album adaptées en anglais par les Sparks ! « Comme ça marchait, on a voulu me faire enregistrer des versions dans toutes les langues, ce qui est une conception archaïque de ce métier », commentera Lio. « A l’époque, le producteur de Human League m’adorait et a voulu me produire en Angleterre. J’ai refusé et je le regrette ».

Lio Amoureux solitaires Pop Music Deluxe

Amoureux solitaires

En France, Sage comme une image ne sortira même pas, et l’on enchaînera sur le simple suivant, un tube encore plus énorme que Le Banana split, Amoureux solitaires. Fans des Stinky Toys et du single Rectangle que vient de sortir Jacno en 1979, Lio et Duvall ont l’intention d’adapter l’une de leurs chansons, Lonely Lovers, sur un texte de Duvall, que Jacno va même accepter de produire avec un son très proche de son récent Rectangle. En effet, Amoureux solitaire n’a plus grand chose à voir avec l’original et, si la maison de disques s’arrache les cheveux car les Stinky Toys n’ont jamais décroché de tube, l’entêtement de la chanteuse va payer. Non seulement Amoureux solitaires sera un nouveau n°1 des ventes et des discothèques en France en octobre et novembre 1980 (où il totalisera plus de 900 000 ventes et recevra un disque de platine), mais c’est également un hit à l’étranger et Lio se retrouve n°1 en Italie, n°2 en Espagne, n°4 aux Pays-Bas, n°6 en Autriche et n°11 en Allemagne, tandis qu’une version en espagnol est enregistrée pour le marché argentin. Un succès qui laissera pourtant un petit goût amer, comme le raconte Lio dans Pop Model : « Mais cette belle histoire est considérablement assombrie par le refus sans appel qu’Elli (Medeiros, auteure du texte anglais, NDLR) oppose à Duvall ; elle estime que l’adaptation française ne mérite pas sa part de droits d’auteur, soit 12% des droits, et exige de signer seule : une vraie honte ». Duvall, quant à lui, ne s’exprimera pas sur le sujet.

Enregistré en 1979 aux studios Synsound à Bruxelles, le premier album éponyme de Lio est réalisé par Marc Moulin et Dan Lacksman, membres fondateurs du groupe Telex. Telex se caractérise par son humour mais aussi par sa synth-pop aux expérimentations électroniques qui lui vaut de jolis succès, comme la reprise de Rock Around the Clock qui arrive à se classer 34e dans les charts anglais en 1979, ou Moskow Discow, 36e des clubs américains et tube en Italie. Le duo Moulin / Lacksman offrira à Lio une pop moderne et électronique qui permettra à ce premier LP de rester une référence des années 80. Quant aux textes, on a vu que certains existaient déjà avant d’être confiés à Lio, et si l’on peut les qualifier d’impersonnels, ils ont, pour une bonne partie des douze qui forment l’album, la fantaisie de faire appel à un bestiaire mythologique et cinématographique qui joue toujours sur plusieurs niveaux, entre naïveté, espièglerie et subversivité (La Panthère rose, Bébé vampire, Speedy Gonzales, La Petite Amazone, OZ…). « On voulait faire des chansons acidulées, sensées et facile à la fois. C’était assez naïf », dira Alanski. Comix discomix liste des personnages de BD un peu comme avant elle s’en étaient déjà amusées Sylvie Vartan (Je vis en illustré) ou Amanda Lear (Comics). Belles exceptions, le joyau Si belle et inutile, une réponse à ceux qui taxent la chanteuse de superficialité (« Qu’y a-t-il derrière les apparences ? Ce que j’y vois n’a l’air que d’autres apparences »), ou J’obtiens toujours tout ce que je veux (« Mes illusions se sont cassées, Remplacées par ce jeu qui risque assez, De me lasser… »). Enfin, You Go to My Head est une surprenante reprise d’un standard de Billie Holliday sur des nappes de synthé et une rythmique hypnotique. Commercialisé en 1980, ce premier album bénéficie de la présence de ses deux très gros succès et se vendra en France à plus de 150 000 exemplaires, recevant ainsi un disque d’or.

Lio Amicalement votre Pop Music Deluxe

En 1981 est extrait de l’album le 45 tours Amicalement vôtre qui va s’imposer lui aussi, même s’il fera moins bien que ses prédécesseurs. Fantaisie sautillante sur texte espiègle et jeu d’assonances et d’allitérations, la chanson fait son apparition dans les 15 meilleures ventes en France début février et atteindra les 100 000 ventes, pas si mal ! A l’étranger, c’est aussi un petit succès, au Canada d’abord où Amicalement vôtre grimpe dans les palmarès, mais aussi en Allemagne où c’est une 59e place gagnée en juillet pour huit semaines de présence dans le classement.

Album important du début de la décennie, le premier de Lio impose une certaine idée de la pop francophone en Europe et au-delà. Amour toujours, son deuxième en 1983, prendra une direction quelque peu différente sous la houlette d’Alain Chamfort




7 commentaires

    • I love lio – I was in France in 1980 ( fifteen years old) and saw her on tv – I bought a metal hurlant with the clash on the cover – lio was inside in the bath and in a see thru neglige which I thought was rather good on her – a year ago I bought her lp from reckless records in Berwick street soho and couldn’t believe how much I liked it – it makes me very grateful for living in those times – France was a lovely place to go – we went every summer and so I experienced many happy days there , always loved France / so modern compared to England – lio just takes me back – really good music – I love her songs and I don’t care who knows it – Lio is cool – I just bought her cassette on discogs and I have bought the greatest hits last year also on cassette – for the real eighties sound – which is great by the way – vive la France and Portugal obviously –

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  1. Mon premier album également 🙂 Une vraie pépite pop ! Petite frustration toutefois concernant son exploitation. Quelques titres comme « J’obtiens toujours tout ce que je veux », « Comix Discomix » ou « Si belle et inutile » auraient pu tenter l’aventure en 45 tours. Mais le temps s’est chargé de le rendre culte, c’est l’essentiel. Super article 😉

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  2. Un album que j’ai adoré à sa sortie (mais moi, ce n’était pas mon premier). Même si je n’étais déjà plus un enfant, je me rappelle avoir été encore assez con pour découper les modèles de l’encart à l’intérieur de la pochette et voir ce que ça donnait de « rhabiller » Lio au verso.
    J’aime beaucoup l’inexploité « J’obtiens toujours tout ce que je veux » . Frédéric, j’ai toujours considéré « Si belle est inutile » comme une fausse face B ou une seconde face A. Lio l’a plusieurs fois défendu en télé (notamment dans une fameuse séquence en direct chez Sabatier beaucoup rediffusée depuis) et c’est le texte intégral de ce titre qui est repris au verso de la pochette du single. On peut donc penser que même si c’est « Amicalement vôtre » qui faisait la course dans les hits-parades, il y a bien eu quelques âmes parmi les 150 000 acquéreurs du 45t qui l’ont acheté pour « Si belle et inutile »… 😉

    Bravo pour toute cette mine d’infos sur la genèse de la carrière de Lio et de son premier album !

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  3. Bravo & merci pour ce récit plein d’infos très précises.
    Cependant, je me demande toujours quelque chose : l’album a-t-il édité en premier en Belgique (comme on pourrait le penser) ou c’est le label français qui a repris le flambeau compte tenu du succès qu’elle avait dans l’Hexagone grâce à ses récents singles ?

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