
Novembre 1982. Laura Branigan est 2e des charts américains avec son premier tube, Gloria. Le chemin a été long pour la jeune chanteuse, tout comme celui parcouru par la chanson qu’elle interprète et qui est née en Italie en 1978.
Umberto Tozzi a conquis toute l’Europe en 1977 avec sa chanson Ti Amo (plus d’un million de 45 tours vendus rien qu’en France) puis avec Tu l’année suivante, et il compte bien renouveler l’exploit en 1979. Il y a cette chanson, Gloria, qu’il a écrite avec son complice et producteur Giancarlo Bigazzi, et qui mériterait qu’on lui accorde une attention toute particulière. À la même époque, Giorgio Moroder, un autre Italien, cartonne avec Donna Summer dont il produit les disques, et notamment le duo avec Barbra Streisand No More Tears (Enough Is Enough) dont il a confié l’arrangement et la direction d’orchestre au jeune américain Greg Mathieson. C’est ce même Mathieson qui va recevoir en 1978 un coup de fil de Moroder lui annonçant qu’un producteur italien de renom veut absolument le rencontrer. Il s’agit de Giancarlo Bigazzi qui souhaite ce « son » américain sur le prochain disque d’Umberto Tozzi, Gloria. Mathieson s’envole alors pour Munich où le disque est enregistré et apporte sa touche personnelle sur l’arrangement de la chanson avant de diriger l’orchestre.
Avec ses cordes percutantes et ses chœurs entêtants, Gloria a tout d’un hymne disco et c’est un nouveau succès phénoménal pour Tozzi qui se classe n°1 en Espagne et en Suisse, n°2 en Italie, n°3 en France (avec plus de 400 000 ventes), n°4 en Autriche… Il enregistre même la chanson en espagnol puis en anglais pour une distribution aux États-Unis, mais alors inconnu et signé sur un label indépendant qui n’a pas la puissance d’une grosse firme, le disque passe là-bas inaperçu.
Pas étonnant donc que Laura Branigan n’ait jamais entendu parler de cette chanson. La jeune artiste a déjà quelques années de métier, elle a été choriste et compose elle-même ses chansons, mais mis à part une poignée de singles enregistrés et un album avorté, elle attend toujours son heure. Elle est pourtant signée chez Atlantic, maison de disques importante, où sa puissance vocale a fait impression, mais on ne lui a pas encore trouvé la chanson qui la ferait décoller. Pour ça, on va faire appel au producteur allemand Jack White qui vient de connaître son premier succès aux États-Unis avec Stevie Woods et qui a désormais de bons rapports avec Atlantic. On lui demande s’il n’aimerait pas produire cette chanteuse prometteuse, ce qu’il accepte après l’avoir rencontrée. Et pour travailler sur du matériel neuf pour Laura, il sollicite l’un de ses récents collaborateurs, Greg Mathieson, avec qui il a travaillé pour Stevie Woods. Avec l’arrangeur original de Gloria à disposition et un tube qui n’a pas encore conquis l’Amérique, Jack White commence à avoir une idée…
Alors que la maison de disques lui fait écouter de nombreuses maquettes parmi lesquelles il ne décèle aucun tube, Jack White va finalement sortir sa botte secrète, sa fameuse Gloria pour laquelle Branigan a déjà donné son accord. En charge de la production, Greg Mathieson ne se pose pas longtemps la question de savoir s’il faut créer un arrangement différent, le sien a déjà fait ses preuves, il ne sera que très peu modifié. En effet, contrairement à ce que répète Laura Branigan lors de la promotion, on n’a pas spécialement donné à cette chanson italienne cette petite touche américaine supplémentaire puisqu’elle l’avait déjà. Il faut par contre un texte en anglais, et on essaie tout d’abord de changer Gloria en Mario, mais la transition s’avère peu convaincante. Trevor Veitch, déjà chargé de recruter les musiciens pour l’album de Branigan, va également s’attaquer au texte, qui devient sous sa plume le portrait d’une jeune fille qui vit sa vie à cent à l’heure.
En décembre 1981, il ne reste plus désormais qu’à enregistrer la chanteuse, qui délivre une interprétation impliquée et convaincante, de sa voix imposante et légèrement rauque, « faite pour la pop, au sens classique du terme » comme l’a qualifiée Ahmet Ertegun, PDG d’Atlantic.
Le premier album de Laura Branigan est dans les bacs le 8 mars 1982, mené par un premier single, la ballade All Night with Me qui ne dépassera pas la 69e place du Billboard. La production voulait qu’on puisse d’abord découvrir la chanteuse avec une ballade, mais à présent, il est temps de passer aux choses sérieuses. Gloria est lancée en juin, mais la bataille n’est pas encore gagnée. En effet, les radios sont d’abord réticentes à diffuser le titre, et c’est par les clubs que tout va se jouer. La chanteuse y donne une promotion intense et Gloria atteint la 4e place des diffusions le 7 août. Mais l’ascension des charts pop, le Billboard Hot 100, est beaucoup plus laborieuse et la chanson atteint finalement la 2e place le 27 novembre, totalisant 36 semaines de classement et s’écoulant à plus d’un million d’exemplaires. Preuve de sa popularité, Laura reçoit une nomination aux Grammy, elle apparaît dans un épisode de la série Chips dans lequel elle interprète Gloria qui est aussi incluse dans une séquence du film Flashdance en 1983.
En Europe, le succès sera nettement moins impressionnant, Gloria étant encore un succès récent, mais l’Angleterre, réfractaire à la version Tozzi, accueille Laura avec une sixième place dans ses charts en février 1983.
La France, quant à elle, diffuse un peu la version Branigan, mais sans effort de promotion de la part de la chanteuse (que l’on ne découvrira sur nos écrans que l’année suivante avec Self Control) Gloria manque sa cible, d’autant plus qu’elle est supplantée par une autre version, celle de notre Sheila nationale qui en fait un tube en français ! Si Sheila non plus ne connaissait pas la version originale de Tozzi, on lui pardonne bien volontiers puisqu’en 1979, elle est occupée à la promotion de son tube mondial Spacer et de son premier album américain, King of the World.
En 1982, lorsque la version Branigan occupe toutes les ondes, Sheila est encore très régulièrement à New York où elle ne cesse d’entendre la chanson, ce qui lui donne envie de l’enregistrer. Le texte est ainsi adapté par Claude Carrère et Jean Schmitt qui font cette fois passer un message beaucoup plus grave puisqu’ils y dénoncent les atrocités de la guerre en ces temps troublés par des conflits aux Malouines ou au Liban : « Gloria, À toi qui a vingt ans, Finis ta vie en chantant, Dans un coin perdu pour du vent ». L’arrangement est confié à Mat Camison (à qui l’on doit les grands succès disco de Sheila) qui dira au blog Sheila – On dit… : « J’ai rendu l’arrangement plus musclé, et ça a été très efficace ». Grâce à une promotion intensive, la chanson est un tube qui se hisse à la 8e place des ventes en France en janvier 1983 et dépasse les 300 000 ventes. Sheila en fera par la suite une chanson de scène qui ravira ses admirateurs.
Notons enfin que les trois versions de Gloria (Tozzi, Branigan et Sheila) ont chacune bénéficié d’une version longue en maxi 45 tours et que la version Tozzi est ressortie aux États-Unis en 1982, au moment où celle de Branigan cartonne, mais sans plus de succès…
Une autre star française reprendra Gloria dans sa version Branigan en cette année 1982 : Sylvie Vartan, qui lors de ses concerts à Las Vegas en décembre inclus quelques tubes américains du moment, dont Gloria, dans une version extrêmement efficace et vocalement réussie. La chanson sera gravée sur le disque témoignage de ces concerts, Live in Las Vegas, qui paraît en 1983.
Il n’y a pas que la « promo intensive » qui a fait de la cover de SHEILA un tube en 82/83, j’ai envie de reprendre tes mots écrits pour une autre en disant que son « Glori Gloria » est une adaptation « très efficace et vocalement réussie ». Si une promo conséquente était un gage de succès, alors l’excellent « Pilote sur les ondes », 2 ans plus tôt, aurait bien davantage cartonné… 😉
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