
En 1985, les Écossais de Simple Minds ont déjà sept albums à leur actif. Si les balbutiements, à la fin des années 70, sont restés plutôt confidentiels, le groupe s’est depuis peu fait un nom en Europe et le dernier album, Sparkle in the Rain, a pointé n°1 au Royaume-Uni. Pourtant, il manque encore un vrai tube à leur répertoire.
Entre le printemps et l’été 1984, alors que Simple Minds est en tournée aux États-Unis, les garçons reçoivent dans leur loge, après un concert particulièrement éreintant, la visite inattendue de Keith Forsey. Musicien et producteur anglais, ce dernier travaille notamment avec Billy Idol, a co-écrit le tube Flashdance… What a Feeling pour lequel il vient de recevoir un Oscar, ou encore le NeverEnding Story de Limahl qui vient tout juste de sortir. En charge de la bande-originale du teen movie The Breakfast Club réalisé par John Hughes, il a écrit les paroles de cette chanson, Don’t You (Forget About Me), composée par Steve Schiff, et en cherche l’interprète idéal. Bryan Ferry lui a déjà refusé le morceau et, très fan de Simple Minds, il prend contact avec la maison de disques du groupe qui l’invite à une rencontre à l’issue de ce concert mais en omettant d’en informer les musiciens. Pour le moins surpris mais toutefois amusés, les Simple Minds réserve à cette proposition un accueil inversement proportionnel à l’enthousiasme pourtant communicatif de Forsey. « Vous devriez le faire, ce serait génial, la maison de disques américaine donnera un coup de pouce à votre album si vous faites cette chanson, ça ressemble vraiment à du Simple Minds », leur aurait-il dit selon Jim Kerr, le vocaliste du groupe. « Et nous lui avons répondu : »Attends une minute. On est Simple Minds, on ne veut pas faire quelque chose qui ressemble à Simple Minds. On fait nos propres chansons ». On n’en avait pas envie du tout, on n’aimait pas la trame du film, ce n’était pas exactement Le Parrain », se souvient Jim Kerr pour BBC Radio 2 en 2018.
C’était pourtant compter sans l’opiniâtreté et l’obstination de Forsey qui, après un refus de Billy Idol et avoir écarté l’idée du Canadien Corey Hart, revient à la charge quelques mois plus tard. Cette fois, il s’y prend différemment et demande au groupe, qui est alors à Londres en train de travailler sur les maquettes de son septième opus Once Upon a Time, s’il peut passer les voir car il est dans le coin pendant quelques jours et aimerait vraiment travailler avec eux dans le futur. Après avoir passé quelques heures ensemble au pub, la connexion et la camaraderie devient vite évidente, notamment parce que le groupe se rend compte que Keith Forsey a été batteur du groupe Amon Düül II, l’une des influences de leurs débuts. Remettant la question de Don’t You (Forget About Me) sur le tapis, Simple Minds finit par donner son accord à Forsey, encouragé bien évidemment par la maison de disques mais aussi Chrissie Hynde, à l’époque épouse de Jim Kerr.
Un studio est réservé durant un après-midi, et la chanson est finalement mise en boîte en trois heures, le groupe essayant de lui insuffler un peu de personnalité en retravaillant un peu l’intro et en ajoutant les fameux « la la la » à la fin du morceaux. « On a toujours voulu faire de la musique de film. Mick (McNeill) et Charlie (Burchill) écrivent des tonnes de morceaux d’ambiance qui seraient super pour des musiques de films. Don’t You (Forget About Me) n’est pas vraiment une chanson d’ambiance, ça ressemble plus à ce qu’on faisait il y a deux ou trois ans. Mais on nous l’a proposée durant un break, à un moment où on ne se sentait pas trop exigeant à propos de notre art. On n’a pas envie que les gens pensent que c’est vers ça qu’on va tendre à l’avenir. Ça ne ressemble à rien de ce qu’on peut avoir comme idées en tête », commente Kerr à Smash Hits en juillet 1985.
Au moment où Simple Minds enregistre la chanson, personne n’imagine encore qu’elle tiendra une place importante de ce film qui s’avèrera être un succès, ni que la chanson en sera extraite en single. Pourtant, ce qui devait arriver arriva, et Don’t You (Forget About Me), joué en générique de début et de fin, sort en 45 tours le 20 février 1985 aux États-Unis et le 8 avril au Royaume-Uni. Le clip qui l’accompagne, réalisé par Daniel Kleinman, se base sur « une idée surréaliste, basée sur une photo qui montrait un homme debout devant chacune des choses achetées durant sa vie », se souvient-il. Aussi peu enthousiasmé par le tournage du clip que par la chanson, le groupe se montre assez peu coopératif, et il en résultera quelques tensions.
Démarrant rapidement son ascension des charts planétaires, Don’t You (Forget About Me) devient n°1 aux États-Unis, marché qui avait jusqu’à présent boudé Simple Minds. N°7 en Angleterre (le premier top 10 du groupe), le single est également 4e en Allemagne et 24e au Top 50 en France fin septembre 1985. C’est d’ailleurs alors qu’il est en France pour faire de la promo que Jim Kerr reçoit un télégramme l’informant qu’il est n°1 aux États-Unis. Seul dans sa chambre d’hôtel en début de soirée, il décide de descendre au bar et de se commander une bonne bouteille de champagne pour fêter la nouvelle. Rapidement éméché, il offre un verre à tout le monde, ce qui lui coûte une fortune, racontant à qui veut l’entendre que son groupe est n°1 aux Etats-Unis. « Je crois que personne ne m’a cru. Et j’ai eu un mal de crâne le lendemain matin dont je me souviens encore », confie-t-il à Forbes en 2018. « Tu te casses les couilles pendant des années, et puis tu fais quelque chose sans effort en un instant et il s’avère que c’est le sésame. C’était vraiment un coup du sort et ça nous a ouvert toutes les portes ».
Et si le tube sera écarté de l’album Once Upon a Time (qui engendrera lui-même sa propre série de hits), Simple Minds a désormais fait la paix avec ce morceau si emblématique du mitan des années 80 qu’il prend toujours du plaisir à jouer en concerts.
Ni Jim Kerr, ni John Hughes ne mesuraient l’incroyable page qu’ils étaient en train d’écrire. La chanson et le film auront marqué toute une génération et probablement au-delà. « The Breakfast Club » est un chef d’œuvre jamais égalé dans son domaine. Un film intelligent, profond, bouleversant. John Hughes a réussi le pari de parler de l’adolescence de manière « fine et forte » sans tomber dans le « teen movie » racoleur et souvent débile qu’on nous sert depuis des années. Ce passage de la vie si long et en même temps si bref est sûrement le plus troublant et le plus fort de notre existence. Hughes le démontre brillamment en 97 minutes.
« Don’t You Forget About Me » est un titre puissant et reste indissociable du poing levé de John Bender. Iconique ! J’ai l’impression que Simple Minds est un groupe un peu sous-estimé chez nous par rapport à son incroyable carrière. Dommage. Votre article reflète parfaitement l’idée que Jim Kerr et sa bande ont fini par faire de ce tube un hymne. Le film, les acteurs (naissance du « Brat Pack »), la chanson : tout y est. Il y a des moments dans la vie où toutes les planètes sont parfaitement alignées. Magique !
Merci Pop Music Deluxe pour votre travail 🙂
Frédéric
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